Quinze ans d'expérience pragmatique du traitement de la psychose infantile
M. Procus, M. Block
Publié in Neuropsychiatrie de l'Enfance, 1987, n° 35 (6), pp. 257-264.
XIe Congrès International de l'Enfant et de l'Adolescent, Paris, 21-25 juillet 1986.
Résumé
Dans le traitement de l'enfant psychotique, l'idée basale de notre part contributive est de construire à partir du rameau encore vivant, c'est-à-dire de ce qui reste comme potentialité de vie chez l'enfant, pour que s'éclose progressivement ce qui se devine comme vie réelle. Nous tâchons d'ouvrir, d'éveiller l'enfant psychotique à partir de toutes les expériences enrichissantes d'un corps qui bouge, qui vit par lui et grâce à lui. Cet apprentissage doit être entraîné, répété, augmenté et diversifié pour parvenir au plaisir de vivre. Ainsi ces acquisitions pourront être mémorisées, conscientisées et intégrées dans le vécu de tous les instants.
1) Lieu du traitement : Nous fonctionnons à deux thérapeutes ensemble, avec un groupe de 3 à 4 enfants ne présentant pas nécessairement la même symptomatologie et se trouvant à un stade différent dans leur évolution.
2) Investissement de l'enfant et communication : dès les premiers contacts tout au long du traitement, l'enfant doit percevoir une atmosphère chaleureuse, enthousiaste, rayonnante. Il faut croire en lui, en ses possibilités en son avenir. Mais, de même dès les premiers instants, nous introduisons quand il le faut la notion des limites, des interdits. La relation entre les enfants et nous-mêmes est un véritable dialogue non interrompu, même et surtout s'ils ne parlent pas, qui s'élabore par la voix, les silences, le regard, le geste, la mimique, la main lors du massage et le corps qui bouge.
3) Le massage du corps entier qui est l'approche première devant l'angoisse des enfants et également une des clés de la remise dans le corps, car il se situe au niveau du senti et du ressenti de l'enfant.
4) Exercices corporels : a) L'induction du mouvement actif se fait par un programme d'exercices chantés dans un ordre donné. Ces exercices devront progressivement être exécutés de façon consciente et volontaire par l'enfant, b) Le développement psycho-moteur proprement dit se mûrit par l'exécution d'exercices ordonnés et structurés, réalisés dans une suite logique et enchaînés par un raisonnement intrinsèque.
Mots-clés : induire - conscientiser - intégrer - créer le plaisir - corps qui vit - massage.
L'éducation du jeune enfant IMC de six mois à cinq ans, réalisée par une méthode originale (Procus, 1980), nous a aidées à mieux concevoir les ressources extraordinaires que possède tout enfant à se dépasser chaque jour pour vaincre son handicap.
De façon naturelle, par un cheminement normal, mais ressenti comme un merveilleux aboutissement, ceci a été l'occasion de mieux cerner le traitement de tous les autres enfants présentant des troubles psychomoteurs, même quand ceux-ci s'inscrivaient dans le contexte de perturbations graves de la personnalité : c'est dire que nous nous sommes mises progressivement à prendre en charge des enfants pré-psychotiques et psychotiques, et c'est de ces derniers que nous allons parler exclusivement dans cet exposé.
Nous ne traitons bien sûr ces enfants que sur avis médical. Le diagnostic de psychose aura été établi par un pédiatre, neuropédiatre ou pédopsychiatre qui nous envoie l'enfant. Tout au long du traitement, le médecin suivra la progression de l'évolution de l'enfant.
Ce que nous observons, c'est que plus l'enfant est jeune, et pensons ici à « l'autisme de Kanner », et plus le tableau sera grave. Le manque d'expérience au niveau du corps vécu dès la naissance (sinon avant) et la carence ou l'absence d'intégration des stimulations extéroceptives et proprioceptives l'empêcheront d'établir les relations entre lui et son environnement.
Si l'atteinte psychotique est moins immédiatement grave et intervient plus tard, à la suite d'un accident psychologique (par exemple une naissance, un deuil, une séparation, l'annonce à un enfant de 3,4 ans de son adoption...), nous verrons des troubles du comportement et de la personnalité, avec une évolution très retardée du langage. Nous nous trouvons devant un enfant handicapé, tant au niveau neurologique que psychologique.
Voici les principaux symptômes que présentaient les 79 enfants traités au cours de notre expérience, 17 venant de diverses institutions :
- Un important retard du développement moteur, somesthésique et somatognosique ;
- Des anomalies du comportement moteur (automutilation, mouvements stéréotypés, balancements, course éperdue...) ;
- Peu ou pas de communication avec l'entourage ; un très grand retard dans l'élaboration du langage, qui peut aller jusqu'à l'aphasie ou au mutisme ; absence de contact oculaire et auditif ;
- Des symptômes d'angoisse.
Tous ces signes exprimaient une altération profonde de la personnalité. Que l'origine de ces symptômes soit d'ordre purement neurologique, génétique ou postlésionnel, qu'il soit d'ordre affectif ou qu'il soit constitué par un mélange de causes, notre approche thérapeutique est restée identique.
Notre conception a été de construire à partir du rameau encore vivant, c'est-à-dire de ce qui reste comme potentialité de vie chez l'enfant pour éclore ce qui se devine comme vie réelle.
Jamais, dans aucun des cas, nous n'avons fait régresser un enfant, jusqu'à un point qui aurait été décrété idéal pour lui... comment connaître ce point privilégié autrement que par une spéculation d'adulte !... Et puis, nous n'avons pas foi dans la validité de la « régression restructurante ». Nous partons donc avec l'enfant tel qu'il est, tel qu'il nous arrive, pour bâtir sans tarder.
Nous tâchons d'ouvrir, d'éveiller et de conscientiser l'enfant psychotique à partir de toutes les expériences enrichissantes d'un corps qui bouge, qui vit par lui et grâce à lui. Ensuite, nous allons entraîner, répéter, augmenter, diversifier ces expériences pour parvenir à susciter le plaisir. C'est à partir des sensations vécues dans le corps que l'enfant pourra s'exprimer par la parole, adressée à l'autre.
Nous réaliserons ces différents buts par la répétition d'un « apprentissage dans la joie » structuré autour de ces différents supports toujours identiques :
1. Lieu du traitement.
2. Investissement de l'enfant et communication.
3. Massage du corps entier qui est l'approche première devant l'angoisse des enfants et également une des clés de la remise dans le corps, car il se situe au niveau du senti et du ressenti de l'enfant.
4. Exercices corporels
- L'induction du mouvement actif lors d'un programme d'exercices chantés, dans un ordre donné, exercices qui devront progressivement être exécutés de façon consciente et volontaire par l'enfant.
- Le développement psychomoteur proprement dit, par l'exécution d'exercices ordonnés et structurés, réalisés dans une suite logique et enchaînés par un raisonnement intrinsèque.
1. Lieu du traitement
Le traitement des enfants psychotiques sera soit individuel, soit au sein d'un groupe.
Mais, dans chaque cas, nous serons toujours présentes à deux thérapeutes, dont la formation de base est la kinésithérapie. Nous suivons donc ensemble les mêmes enfants et chacune d'entre nous accomplit son travail en toute spontanéité, de façon simple et naturelle, selon le moment de la leçon.
Ce partage dans le travail se vit dans la rigueur et l'expérience professionnelle, mais également dans la joie et l'enthousiasme.Il se réalise par une participation active, une impartialité, une disponibilité d'humeur et une attention soutenue de chacune de nous. Cette prise en charge à deux se prolongera pendant toute la durée du traitement, et ceci dans un local toujours identique, pendant une durée déterminée d'une heure, à des jours fixes et à des heures régulières. Les enfants psychotiques au comportement fortement déstructuré, sans aucun acquis, seront soignés en début de traitement de façon individuelle.
Le plus rapidement possible, nous essaierons de les incorporer dans un groupe.Le passage de la leçon individuelle vers le groupe doit être vécu par l'enfant comme un progrès et une joie d'être avec d'autres. Le même programme, appris au cours des leçons antérieures, reste exécuté individuellement par chaque enfant au sein du groupe.
C'est à nous de réussir ce passage, leur entrée et leur présence dans le groupe, par notre participation attentive vis-à-vis de tout un chacun. C'est également grâce à la collaboration active des autres enfants que la bonne insertion sera réussie.
Pour les enfants psychotiques dont le comportement est moins perturbé, ils seront introduits tout de suite dans un petit groupe qui ne tiendra pas compte de leur âge réel, mais bien de leurs possibilités de réussite parmi leurs compagnons. Ces groupes comprennent 3 à 4 enfants qui ne présentent pas nécessairement la même Symptomatologie. Nous voyons ainsi mélangés des enfants psychotiques avec d'autres enfants présentant des troubles instrumentaux, des retards de langage ou de la motricité, des enfants timides, agressifs...
Ce qui est intéressant et enrichissant pour l'évolution d'un enfant psychotique, c'est qu'il s'agit d'un groupe où les enfants se côtoient pour un certain temps, viennent tous pour une raison différente, se trouvent tous à un stade différent dans l'évolution de leur traitement et arrivent avec un vécu différent.
Bien sûr, l'enfant psychotique qui aura une durée de traitement plus longue (plusieurs années parfois) verra beaucoup d'enfants arriver et partir. Mais ceci est un point important, car, ainsi, il ne se trouve pas dans une structure figée, mais, au contraire, dans une atmosphère mouvante et dynamique où toute routine est exclue.
Dès que les progrès des enfants seront suffisants pour passer dans un groupe de niveau supérieur, nous les changeons dans le seul but de rattraper tout leur retard psycho-somatognosique.
La diversité des individualités au sein d'un groupe permet à l'enfant psychotique de vivre normalement l'expérience d'être au sein d'une mini-société. C'est la mise en valeur de tout un chacun, mais dans le plus grand respect de l'autre.
2.Investissement de l'enfant et communication
Dès le premier contact, et ce tout au long du traitement, l'enfant doit percevoir une atmosphère chaleureuse, enthousiaste et rayonnante de joie. Il faut croire en lui, en ses possibilités, en son avenir.
Notre désir inlassable de les voir sortir de leur monde doit être intense. Nous nous trouvons devant un enfant qui vit, qui existe, en tout cas, nous le considérons comme tel par notre présence attentionnée. Mais, de même, dès les premiers instants, nous introduisons quand il le faut la notion des limites, du « non, tu ne peux pas », par opposition à la notion du « c'est bien, c'est gai d'être grand... »
La relation entre les enfants et nous-mêmes est un véritable dialogue non interrompu, même et surtout s'ils ne parlent pas.
Notre attitude vis-à-vis de ces enfants est d'établir une véritable conversation. Nous les considérons à part entière, comme n'importe quel autre enfant. Ce dialogue s'élabore par la parole, par la voix, par les silences, par le regard, par le geste, par la mimique, par la main lors du massage et par le corps qui bouge. Il est empreint de simplicité, de vérité et de joie, dont les enfants prennent conscience petit à petit.
Comment se passe une première leçon avec un enfant psychotique fortement déstructuré ?
Quand un enfant psychotique vient pour la première fois, si jeune soit-il, nous le laissons circuler librement dans toute la salle et même dans les autres pièces de l'appartement de vie quotidienne, toutes les portes restent grandes ouvertes. Dès qu'il aura tout parcouru, tout vu, nous lui disons que c'est ici, dans la grande salle, qu'il vient pour sa gymnastique.
Ainsi, nous le laissons se diriger sans le tenir, mais en le surveillant. S'il grimpe sur les appuis de fenêtres, les tabourets, se cache sous les meubles, se jette par terre ou s'enfuit dans une autre pièce, nous l'en empêchons et, tout de suite, nous l'interpellons et introduisons l'interdit. Cette prise de position immédiate de notre part lui sert de béquilles, qui, à la fois, le rassurent et le restructurent.
Nous montrons à l'enfant son environnement, et nous décrivons toute la décoration de la salle, objet par objet.
Il se trouve dans une salle agréable et riante, avec des plantes naturelles, un tableau aimanté avec plein de sujets, des motifs de décoration enfantine et un miroir. Nous n'employons jamais le miroir comme moyen thérapeutique, mais au contraire, l'enfant s'y découvrira tout seul et, bien souvent, ce seront les premiers balbutiements de l'enfant avec lui-même grâce à cet intermédiaire.
Nous répondons à son regard et à ses interrogations lorsqu'il découvre son image dans le miroir. A ce moment-là, nous le nommons, nous l'appelons. Dans la mesure où il a été nommé par nous, l'expérience montre qu'il nous reconnaît dans le miroir.
Ce sera le commencement d'une relation à l'autre. Nous donnons une réponse à un simple regard, à un simple mouvement de tête, à la moindre ébauche d'un sourire ou à un éveil acoustique (quelqu'un qui passe, une auto qui s'arrête).
Eveiller l'intérêt de l'enfant à travers la constatation d'un son, d'une odeur, d'une couleur, d'un toucher, d'un objet est pour celui-ci les prémices d'une perception, d'une découverte autonome, qui pourront petit à petit lui permettre de se structurer dans l'espace.
Dès que l'enfant a situé son environnement nous avons pensé que le massage du corps entier serait l'approche initiale.
3. Massage du corps entier
Au début du traitement, l'enfant reste bien souvent entièrement habillé et nous le massons ainsi, en le suivant dans ses mouvements, dans ses dérobades. Qu'il se roule, qu'il se laisse glisser par terre, nous le ramenons à l'endroit prévu pour son massage, qui sera identique à chaque leçon, et nous lui disons : « C'est ici que je te masse », avec une voix à la fois très douce, mais très ferme. Bien souvent, à la deuxième séance, il se laisse déjà approcher plus facilement, et très rapidement, nous pouvons le masser en sous-vêtements.
Après quelques séances, nous voyons souvent l'enfant, pendant que nous le massons, se masser également.
Plus souvent encore, lorsque nous terminons le massage d'un membre, il reprend notre main et la remet sur celui-ci. Cette demande directe de l'enfant est une des premières communications, un des premiers contacts. Par le plaisir que l'enfant découvre à se toucher, à se palper, il s'initie à la représentation de son schéma corporel.
De plus, par le fait que l'enfant se touche, mais ose également nous toucher, il lui est possible de percevoir un premier clivage entre le « Moi » et le « Non - Moi ».
Les premiers massages seront la première communication, le premier dialogue avec le corps de l'enfant. Ce massage lent et profond avec les mains bien appliquées, qui soulèvent la masse musculaire, et avec un contact permanent de la paume de la main, nous permet d'être en résonnance avec lui.
A chaque massage, nous donnerons à l'enfant les mêmes ordres simples de déplacement en avant, en arrière, sur le côté. Et, pour beaucoup d'entre eux, ce seront les premières notions vécues de leur propre corps en mouvement, même si au début nous l'exécutons avec lui. Pendant le massage, et ce à chaque leçon, nous répétons inlassablement, en employant toujours les mêmes mots, que nous massons sa cuisse, son bras, son dos. Nous lui faisons également sentir par une pression de la main un peu plus ferme ou par des tapotements où sont ses cuisses, ses bras, ses jambes, ses pieds, sa tête, avec les yeux que l'on va « cacher » en disant « coucou », ses oreilles que l'on va « tirer », son nez que l'on va « pincer ». Et ceci dans le seul but de favoriser la représentation mentale et sensible du toucher. Si l'enfant émet des sons pendant son massage, nous les imitons et nous en introduisons d'autres, pour lui donner l'appétence et le plaisir de jouer avec sa voix.
Le massage est le message au corps de l'enfant dans son respect le plus complet, avec son accord tacite dont découle son bien-être. Nous pensons que toute relation de « corps à corps » fusionnel, que ce soit habillé, nu, ou dans un bain, est tout à fait contraire au respect que nous mettons dans l'autre, qui est l'enfant.
Nous ne cherchons pas à ébaucher des décharges de plaisir dans les zones érogènes, mais à éveiller l'activité de l'ensemble du corps, à le faire ressentir par l'enfant comme entité en action. Bien sûr, cette prise de conscience dans la joie, c'est plaisant et relaxant, mais c'est très différent d'une décharge d'excitation sexuelle.
Notre relation avec l'enfant pendant le massage se vit à travers le langage du corps et nos mains qui prennent contact avec un corps qui vit, qui bouge et qui exprime.
Les sensations tactiles ressenties par l'enfant vont lui donner progressivement la possibilité de connaître les limites de son corps, même s'il n'est pas unifié et, plus tard, peut-être la connaissance d'un corps vécu, d'un corps sensible.
Après le massage viennent les exercices corporels.
4. Les exercices corporels
a) Induction du mouvement actif
Ce point capital doit aboutir le plus rapidement possible à l'acquisition consciente et harmonieuse du geste volontaire, quels que soient l'âge et le degré de déstructuration de l'enfant.
Il s'agit d'un ensemble d'exercices chantés, mettant tout le corps de l'enfant en mouvement, les pieds, les jambes, le tronc et les bras. Les mêmes exercices sont répétés dans le même ordre à chaque leçon.
Il faut induire, intentionner, susciter le mouvement actif et enfin le stimuler avec un maximum d'informations sensitives et sensorielles toujours renouvelées, pour parvenir à l'intégrer dans l'acquis antérieur (même si celui-ci semble inexistant) de l'enfant.
Nous savons que lors du développement moteur, l'enfant exécute des mouvements incoordonnés et sans but précis. Ensuite, il les coordonne, les précise, et enfin il les automatise (Piaget).
Cette automatisation du mouvement signifie qu'au niveau de son système nerveux central il a fixé le schéma moteur. Il suffit d'intentionner le mouvement selon son schéma moteur connu pour que le mécanisme complexe du jeu musculaire se déroule. Dans ce mécanisme la participation du rôle du cortex cérébral nous semble aussi évidente que primordiale par le rôle que joue l'image motrice conscientisée.
Par la répétition des exercices, en augmentant l'action des stimulations dans tous les domaines, on facilite puis on automatise pour atteindre enfin l'acquisition fonctionnelle, ce qui rendra possible à la longue l'assimilation de son schéma corporel. Cette dernière acquisition ne sera possible qu'en faisant comprendre et prendre conscience à l'enfant que ce sont ses pieds, ses jambes, ses bras, ses mains, son tronc, sa tête, qu'il s'agit de son propre corps, et qu'il lui appartient de le commander et de le sentir vivre : « Le schéma corporel est fondé sur l'expérience. » (Wallon)
C'est en faisant acquérir à l'enfant le schéma corporel, en le mettant littéralement dans son corps et en réorganisant l'espace autour de lui que l'on apporte à l'enfant psychotique la base de son contact avec la réalité, la base de son identité et les prémices de son image du corps.
Mais ceci ne peut s'élaborer qu'à une seule condition, indispensable et excessivement importante, c'est d'avoir créé un désir, une appétence, une envie, une motivation qui doivent aboutir au « plaisir de vivre ». Ainsi, ces acquisitions pourront être mémorisées, conscientisées, intégrées et devenir une expérience vécue.
Il faut pour pouvoir provoquer ce désir, cette envie, cette motivation chez l'enfant : le concerner, le capter, l'interpeller. Cette interpellation ne peut pas être comprise comme un ordre ou une injonction mais bien comme une attention captée et soutenue « œil à œil » et sous-tendue par tout notre désir, par le meilleur de nous-mêmes tout au long des exercices. Cette interpellation incisive vise à élaborer une, voire la première communication, entre l'enfant et nous-mêmes.
Il s'agit d'un moment privilégié de communion entre l'enfant qui reçoit cette induction de vie et le thérapeute qui perçoit la fine intention de réponse. Quand on entraîne le mouvement actif, le geste, on induit le rythme, on canalise l'énergie et on fait éclore la vie. Ne pourrait-on pas dire que ce sont là les premiers signes d'une existence réelle de la vie, de la vie de l'enfant dans le monde ; d'une « renaissance », en insufflant la vie. Un monde qui sera différent à chaque leçon, car, aussi bien pour l'enfant que pour nous-mêmes, nous pouvons dire que nous ne sommes pas aujourd'hui ce que nous étions hier et ce que nous serons demain.
Enfin, chaque enfant étant en soi unique, il reçoit différemment aussi bien le massage que chaque exercice corporel pour aboutir à un ressenti harmonieux et personnel. Ceci nous permettra à la longue d'entrer dans le monde apparemment fermé de l'enfant psychotique.
De plus, lorsque l'enfant commence à assimiler et à réaliser tous les exercices d'induction et qu'il est capable d'un plus long temps de concentration, commence le développement psychomoteur proprement dit. Il va de soi que toute cette évolution dépendra de la progression de l'enfant et qu'elle peut s'étaler sur plusieurs mois, voire des années, selon le degré de l'atteinte et l'âge du début du traitement.
b) Développement psychomoteur
La leçon commence par l'apprentissage du déshabillage et les mots pour y parvenir seront redits à chaque leçon au même enfant aussi longtemps qu'il n'aura pas acquis un bon automatisme dans ces gestes simples.
Le déshabillage joue un rôle dans l'élaboration du schéma corporel. Il a une importance au niveau de la fine motricité et, enfin, il donnera à l'enfant un sentiment d'indépendance dont il sera fier.
Vient ensuite le support de la leçon qui consiste en une série d'exercices ordonnés, structurés au niveau du corps et intégrés dans l'espace et le temps. Nous nous bornerons à en donner un seul exemple, celui de l'exercice du « petit canard ».
Nous mettons l'enfant en accroupi avec les pieds posés à plat sur le sol. Au début, nous nous mettons derrière l'enfant et, en le soutenant aux genoux, nous ébauchons le mouvement, mais nous lui laissons l'impulsion. Nous devons sentir que c'est lui qui commande le déplacement de son pied et nous terminons avec lui le pas en avant, tout en respectant son propre rythme, qui, au début, sera très lent.
Nous l'encourageons par la voix en chantant : « Un petit canard au bord de l'eau... » ; et en lui disant : « Tu avances un pied, puis l'autre pied ». Nous le stimulons durant toute la longueur en répétant ces mêmes mots de façon scandée, martelée, en l'appelant de nombreuses fois par son prénom.
Au début de cet apprentissage, notre pression de main sera assez ferme pour permettre à l'enfant de sentir qu'il se dandine.
La progression de l'exercice s'intensifiera quand nous relâcherons notre prise de main pour ne donner bientôt plus que le support d'un doigt. A ce moment-là, l'enfant est prêt à exécuter tout seul l'exercice. Jamais nous ne sommes dans l'attente d'un progrès, mais nous le provoquons, nous l'induisons, pour qu'il prenne confiance et conscience qu'il peut plus qu'il ne le croit.
Tout progrès est signalé, fêté et nos félicitations seront un encouragement certain pour d'autres progrès dans l'avenir. Ce travail de soutien, de support derrière l'enfant qui diminue petit à petit, jour après jour, pour aboutir à créer un espace entre lui et nous, lui permettra d'acquérir l'autonomie entière du mouvement. Ceci ne peut être réalisé que par un entraînement, un effort, mais aussi par le passage harmonieux de la dépendance à la joie et au plaisir de l'indépendance.
Cette progression dans l'apprentissage du « petit canard » sera identique pour les autres exercices qui mettent tout le corps de l'enfant en mouvement : courir à quatre pattes, le saut du lapin, le « ramper », etc. Il s'agit d'un apprentissage d'un ensemble d'exercices intentionnels, volontaires, ordonnés et structurés, répétés à chaque leçon, afin d'aboutir à l'intégration.
Chacun réalise de façon individuelle sa leçon dans le groupe, à son rythme, et en se concentrant afin d'éliminer toute distraction ou imitation.
Ces exercices comprennent à la fois et en même temps plusieurs composantes : l'activité motrice, le schéma corporel, l'espace, le rythme, et le tout dans un espace défini pendant un temps donné. De plus, nous suscitons chez l'enfant la verbalisation qui se manifestera par un balbutiement ou un grognement : l'ébauche du nombre de syllabes de l'exercice à énoncer. Le perfectionnement progressif dans la qualité de l'exécution et de la vitesse suppose une expérience personnelle du corps de plus en plus consciente.
Le but essentiel est que l'enfant, par la découverte et le plaisir de ses nouvelles expériences, réalise en dehors de sa leçon une expérimentation propre de toutes ses acquisitions dont il s'incorpore et s'intègre dans la vie de tous les jours de tous les instants.
Tous les exercices impliquent une structure rigoureuse et un perfectionnement progressif dans la qualité de l'exécution et de la vitesse. La réalisation et la multiplication de ces mouvements coordonnés, volontaires, toujours motivés, l'expérience de plus en plus consciente et intégrée des nouvelles acquisitions personnelles, situent l'enfant sans cesse vers un avenir qu'il s'approprie et qui le mène vers un mieux-être.
Schéma d'une leçon dans une seconde phase temporelle quand l'enfant a réalisé des progrès.
Nous perfectionnons le développement psycho-somatognosique de l'enfant psychotique en nous basant sur le principe suivant. La propre activité du corps de l'enfant avec toutes les perceptions informatisées et toujours renouvelées est certainement un des moyens les plus importants de l'apprentissage.
Ces perceptions proprioceptives, extéroceptives, cinétiques, toniques, auditives et visuelles qui, ajoutées aux autres éléments antérieurs, permettent d'en tirer des éléments logiques nouveaux et de mémoire, c'est l'engramme. C'est pourquoi nous reprenons les exercices de support, explicités antérieurement, mais en faisant prendre conscience à l'enfant que leur déroulement est soumis à une logique interne qui les organise, qu'ils sont conduits par un raisonnement et réalisés dans un ordre établi.
Il ne faut pas que la répétition de cette gamme devienne une habitude, un conditionnement, une compétition ou des exercices en miroir. Ces mouvements, de plus en plus parfaitement recrées, coordonnés et maîtrisés, rendent l'enfant conscient de ses possibilités et capable de responsabilité.
C'est par le biais de l'intégration et en tenant compte de la maturation neurologique que chaque enfant, par sa participation et sa motivation, réalise petit à petit tout au long de sa rééducation son épanouissement de plus en plus harmonieux par la cohésion entre le corps et l'esprit.
Terminons par la pensée du philosophe Bahya (XIIe siècle) : « Ecoute et retiens, retiens et médite, médite et connais, connais et agis ».
Conclusion
Tout au long de notre exposé, nous avons essayé de montrer que notre approche thérapeutique se situe au carrefour du neurologique et du psychologique.
La nécessité que l'enfant puisse engrammer toutes les informations venues de la périphérie, c'est-à-dire par son corps vécu, vers le cortex, qu'il puisse sélectionner les informations utiles et nécessaires à l'élaboration harmonieuse de sa personnalité, que ces informations soient restituées vers la périphérie, c'est-à-dire par son corps agi, grâce à la permission et à l'accord du cerveau émotionnel, ce tout indispensable permet à l'enfant de recevoir, assimiler, s'imprégner de tous les acquis successifs nécessaires, et surtout de les intégrer pour sa bonne évolution.
En effet, le développement de l'être humain ne se fait-il pas par un enchaînement d'étapes successives, au cours desquelles l'enfant élabore des schémas de raisonnement d'abord concret puis progressivement de plus en plus abstrait ?
L'enfant part du geste et de l'intention la plus simple vers la réalisation la plus élaborée.
La cure est réalisée selon un fil conducteur partant de l'enfant tel qu'il est vers un aboutissement du langage articulé et conscient, avec un développement de la personnalité dans toutes ses composantes.
Nous avons pu démontrer que c'est par les sensations vécues dans et par le corps et l'ouverture vers l'environnement que les enfants verbalisent et communiquent.
Tous les enfants psychotiques jeunes qui nous ont été confiés, et dont le début du traitement a été précoce, parlent.
Les enfants psychotiques viennent en début de cure pour une heure de traitement, quatre fois par semaine ; ensuite, ils ne viendront plus que pour deux séances par semaine.
Ce peu de temps apparemment consacré sur une journée leur permet néanmoins une très bonne évolution.
Tout dépend de l'intensité du stimulus au moment de l'exécution des différents exercices et du plaisir que l'enfant en retire, pour les revivre spontanément.
Il va sans dire que les résultats thérapeutiques sont meilleurs et surviennent plus rapidement (en quelques mois) chez les enfants qualifiés prépsychotiques, dont la déstructuration est moindre. La durée de la cure des enfants psychotiques varie de 1 à 3 ans. Elle est souvent poursuivie par une prise en charge purement psychothérapeutique. Néanmoins, une cure de vingt séances par an jusqu'à la puberté serait souhaitable et bénéfique dans l'évolution du comportement de l'enfant psychotique.