Accompagnement du bébé et de l’enfant 

Dans son infini potentiel de vie

Michèle Block - 2023

L’Accompagnement du bébé et de l’enfant dans son infini potentiel de vie

Je souhaite par cet écrit témoigner, partager ce bonheur infini d’avoir pu accompagner tant de bébés et d’enfants pendant cinquante-quatre ans. 

En tant que jeune kinésithérapeute, j'ai eu cette opportunité de rencontrer Marcelle Procus qui m'a initiée, dès 1965, à sa pratique avec les bébés, et en particulier avec les bébés en souffrance. Je la remercie infiniment pour tout ce qu'elle m'a apporté, mais aussi pour tout ce qu’elle a apporté aux enfants par son intuition créatrice et sa vision thérapeutique d’avant-garde. En effet, ce n'est que dans les années 1990 que la science de pointe révèle le concept de neuro-plasticité, qui permet d'expliciter la base de l’approche qui va être ici développée : « L'induction du mouvement conscientisé ». 

Or en 1951, Marcelle Procus avait déjà publié un article sur l'induction du mouvement actif. D'autres publications (cf. eveilalavie.info) sont venues préciser les différentes indications de prise en charge des bébés et jeunes enfants présentant des lésions neuropathologiques telles que hémiplégie, paraplégie, quadriplégie, choréoathétose. D’autre part, les lésions psychopathologiques telles que l’autisme, la psychose infantile et d’autres problématiques comme les paralysies périphériques ou les maladies génétiques. Petit à petit, ce champ de prise en charge précoce des bébés vers l’âge de quatre, cinq mois, s’est élargi à la dépression, l’anorexie du nourrisson, aux troubles du sommeil, aux colères et pleurs du bébé, au retard neuro-moteur, etc.

L’induction du mouvement conscientisé se réalise par une gymnastique douce qui met tout le corps du bébé, du jeune enfant en mouvement, en lui apportant un bien-être et un développement harmonieux tant au niveau moteur que psychique. Alors ma question est la suivante : pourrions-nous envisager d’offrir ce cadeau à chaque bébé lors de son atterrissage sur sa nouvelle terre ? Rêve, utopie ou véritable prise de conscience du sens de toute incarnation ? 

Cette vision thérapeutique a trouvé une continuité et une grande ouverture d’indication, dans ce qui s’appelle aujourd’hui la « psychomotricité », dont nous avons été les précurseurs en Belgique dans les années 1973-1974 et qui concerne les enfants de deux ans et demi à onze ans. Ceci pourrait être le thème d’un chapitre entier.

Revenons à présent sur notre thème : « Le bébé et son infini potentiel de vie », en partageant ces quelques lignes de ce beau et éternel poème de Victor Hugo: 

« Lorsque l’enfant paraît,

Le cercle de famille, applaudit à grands cris

Son doux regard qui brille, fait briller tous les yeux.

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,

Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,

Innocent et joyeux. »

Moment d’émerveillement auquel succède une question belle et intense : comment accompagner le bébé, l’enfant dans son aventure de vie et lui permettre de réaliser petit à petit le sens de son incarnation ? 

La naissance se vit toujours dans la pensée collective comme une belle aventure pour le fœtus que de venir au monde. Mais est-ce que cette aventure est toujours aussi belle, aussi facile, ou au contraire, beaucoup de turbulences viennent contredire cette croyance ? Pensons à toutes les naissances différentes, lorsqu'il s'agit d'un prématuré, d'un siège, d'une complication respiratoire, de toutes les complications néonatales, et puis aussi de toutes les naissances non-désirées, toutes celles qui ne répondent pas à l'idéalisation des parents. Pensons à ce surgissement, pour le nouveau-né, des bruits qui viennent de l'extérieur, à la lumière vive, etc. 

Et voilà que déjà, à peine atterri sur cette terre, en même temps qu’il est accueilli, célébré, reconnu, le bébé se retrouve dans un corps limité avec la perception, la sensation d'une aventure qui commence et où il peut se sentir bien seul : cette aventure c'est la sienne, celle de la vie sur terre. Il découvrira petit à petit le passage de la vie qu'on est à la vie qu'on a, les phases de la naissance, le premier souffle, le premier regard, la naissance à son incarnation et mourir au ciel, avec la nostalgie de quitter sa « demeure véritable ».

Si je soulève cette interrogation de l’aventure vécue par le bébé, j’aborde à présent mon aventure vécue en tant que kinésithérapeute, pour en extraire le mot « thérapeute » et partager ces quelques lignes du livre Prendre soin de l’Être de J.-Y. Leloup : 

« Pour le thérapeute, il s'agit de tenir son être dans l'Être afin que Sa présence se diffuse, ou s'intériorise à travers lui dans la personne malheureuse. Les soins du corps n'excluent pas les soins de l'âme, les soins de l'âme ne dispensent pas de prendre en considération la dimension ontologique et spirituelle de l'homme ».

Mon expérience a été partagée avec les mamans et les papas qui accompagnaient leur bébé, envers qui j'ai de la gratitude car nous étions tous, en ces moments de partage, (re-)questionnés sur l'Essentiel, conviés à retrouver notre « enfant intérieur » et à accueillir la fluidité de toutes les transformations. Rien n'est figé, tout bouge, se noue, se dénoue, progresse, régresse, entraîne des larmes de tristesse ou de joie... C’est une expérience d'impermanence qui nous appelle à nous abandonner dans la Confiance, Conscience, Constance. 

Continuons par cette question fondamentale pour le sujet qui nous retient : « Qu'est-ce qu’une Naissance, une Incarnation? ». Car sans ce questionnement, cette préoccupation, cette quête, il s'agirait simplement de vous parler ici d'une technique corporelle. Or si la technique est un support indispensable et incontournable, il s'agit surtout de s'ouvrir à cette perspective de thérapeute, qui est en chacun(e) d'entre nous, de « prendre soin de l'Être », de l'âme qui habite chaque être. 

Et Brazelton en 1984 écrit : « Le Bébé est une Personne ». Per-sonne signifie sonner à travers. Il ne s'agit pas d'un objet du désir mais d'un sujet à part entière, d’une personne. Cette conception ouvre à la conscience. Conscience: point essentiel de notre vision thérapeutique, dans cette approche originale de l'induction du mouvement conscientisé. Et en voici ce que Grabovoï énonce : 

« La Conscience est une structure qui permet à l'Âme de diriger le Corps. A travers la structure de la Conscience, l'âme dont la partie matérielle est le corps interagit avec la Réalité. C'est la Condensation de la Lumière Spirituelle qui devient le Corps. L'Interaction se fait entre le Corps et ses cellules, cette Interaction est aussi assurée par la conscience et se réalise dans toute Relation à l'autre ».

La relation à l’autre nous amène à cette relation à nous-même et nous invite à nous découvrir, à contacter notre enfant intérieur, à accomplir ce travail sur soi pour se relier à l’autre car :

« L’homme est son livre d'étude, il doit en tourner les pages et en découvrir l'auteur », dit J.-Y. Leloup ;

« Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle mais des êtres spirituels vivant une expérience dans la Matière », d’après Teilhard de Chardin.

Cette prise de conscience m’a permis petit à petit de déposer mes peurs, mes blocages, mes querelles intérieures, de les apprivoiser en les voyant avec plus de clarté, je dirais même avec humour, avec beaucoup d’amour. Découvrir toute l’humanité et la beauté qui sommeille en chacun de nous est un chemin de libération, de guérison, de reliance à l’autre. Cette expérience que j’ai eu l’opportunité d’expérimenter au fil du temps, je la dois à tous les enfants qui ont été mes maîtres et qui m’ont mise au travail dans cette conscience : vivre cette réalité du don où je donne et je reçois, je reçois et je donne… Et de le partager encore et encore avec chaque enfant, chaque parent, chacun.

Revenons à présent à ce moment vécu par toute maman, qui questionne et interpelle, ce moment de l’annonce d’une naissance. Elle amène et ouvre à cette interrogation du sens de mettre au monde et de l’incarnation. Lisons ce beau texte de Françoise Dolto : 

« L’enfant qui vient au monde devrait nous rappeler que l’être humain est un être qui vient d’ailleurs et que chacun naît pour apporter à son temps quelque chose de nouveau ». 

Ce « quelque chose » qui est là pour nous permettre de continuer notre évolution est également appelé Mandat d’Incarnation, Fil d’Or en Chine, Tâche à accomplir par Gitta Mallasz et Mutation par Annick de Souzenelle. Pour élargir ce thème qui me semble si essentiel dans la compréhension de tout ce qui se joue dès l’instant de la fécondation jusqu’à l’achèvement de l’enfant in utéro, je me référerai à quelques écrits si porteurs et passionnants par leur ouverture à ce sujet. 

Je commencerai par ces quelques lignes du Docteur Olivier Soulier : 

« Chaque conception n’est pas une simple vie qui vient prendre la suite de la précédente comme un maillon de plus, mais tout l’Univers qui recommence depuis le début avec pour nous la possibilité d’aller un peu plus loin. Au travers de chaque grossesse, se rejouera pour l’homme, toute l’histoire de ses origines, de ses liens avec les espèces, le cosmos, et toute l’histoire de l’Humanité. Chaque organisme, chaque fonctionnement se trouvera éclairé. Au tout début de la vie, le cœur est en avant de nous, puis passe devant nos yeux, puis vient se nicher dans la poitrine. On comprend alors cette belle citation de Saint-Exupéry : « L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur ». 

On peut donc dire que l’Ontogenèse, l’histoire du développement de l’individu depuis la fécondation jusqu’à l’âge adulte, récapitule la Phylogenèse, l’histoire évolutive des espèces, et l’homme en est actuellement le dernier échelon ».

Je continue par ce passage extrait du livre Appel du Buisson Ardent de Marie Elia : 

« Certains ont la chance de vivre des relations pleines d’amour avec leurs parents, mais pour d’autres, dans ce monde humain au lourd psychisme, ces relations peuvent être teintées de souffrances ou d’incompréhensions. Ce que les parents n’ont pas réglé eux-mêmes est reporté sur les enfants. Et si ces derniers à leur tour ne sont pas en mesure de transmuter ce bagage alchimique, ce sera leur descendance qui en héritera. 

Pendant près de quarante semaines, après l’absorption du spermatozoïde dans l’ovule, les cellules se multiplient et le fœtus grandit dans l’utérus, baignant dans le liquide amniotique. Cette eau porte l’inscription des émotions et des pensées de la mère, mais aussi des mémoires ancestrales de toute la lignée, voire, par effet de résonance, de toute l’humanité.

Nous avons vu que l’élément eau présente la propriété de contenir et garder de nombreuses informations. Pendant neuf mois, le fœtus va les absorber dans ses cellules. Le corps est tel un « disque dur » qui porte toutes ces mémoires. Gardons-nous de croire que ces informations ne nous influencent pas. Elles sont si profondes qu’elles font pour ainsi dire partie de nous.

Nous avons reçu un flambeau qu’il nous appartient de porter, en choisissant la direction que nous voulons donner à ce formidable héritage. Si nous préférons refuser ce flambeau, nous sommes en porte-à-faux avec nous-mêmes et nos racines humaines. Il est donc important de l’accueillir en conscience, puis de choisir la direction que nous lui donnerons.

Il n’est pas toujours facile de réaliser que les mémoires d’une arrière-grand-mère ou d’un lointain ancêtre se cachent en nous, et qu’elles puissent même influencer nos croyances ou nos décisions. L’empreinte des paysages, des contrées où ils ont vécu, les chocs reçus, les revendications, les rêves… Même si nous ne les avons pas connus, tout cela demeure vivant dans notre arbre généalogique. Dans l’humanité d’aujourd’hui, il y a beaucoup à libérer et à purifier de cet héritage d’oubli qui nous empêche d’être nous-mêmes. Cette étape est incontournable.

En réalité, de qui sommes-nous l’Enfant ? Pour répondre, il nous est proposé de descendre profondément en notre être. Qui nous a engendrés ? Qui a assemblé nos cellules, nos organes ? Qui nous a donné des yeux, des mains, des jambes ? Nos parents humains sont tels des « terres d’accueil ». Sans cet acte de vie qui nous a permis de prendre corps, nous ne serions pas là. Mais ils ne nous ont pas créés, ils en sont incapables. Cela n’appartient pas à leur contrôle, ni à celui d’aucun être humain. Alors qui es-Tu, Toi, mon Père, ma Mère ? Qui es-Tu, Toi dont je suis l’Enfant de toute éternité ? Toi, que j’ai parfois oublié ? Toi, la Vie ? Toi, que pourtant mon cœur aime d’un amour qui me dépasse. Mon cœur sait…

Collectivement, nous avons oublié nos parents d’éternité. Pour un petit enfant, la maman, le papa, c’est elle, c’est lui Dieu. En comparaison avec les autres mammifères, le petit humain a besoin très longtemps des soins de ses parents avant de devenir autonome. Sa survie en dépend. Alors, dès la naissance, l’enfant le sait et fera tout pour attirer l’amour et l’attention de ses parents, surtout de la mère dans les premiers temps. 

Si les parents manifestent des schémas de souffrance, de peur ou de colère, ou bien des troubles psychiques, l’enfant cherchera à s’adapter, et créera lui-même ses propres schémas et comportements qui l’influenceront toute sa vie. Il est donc essentiel d’assainir le terrain et de poser une conscience sereine sur ses fonctionnements ».

Je terminerai par ces témoignages si éclairants et bouleversants du Professeur Jean-Pierre Relier, extrait du livre Mettre au monde de Patrice Van Eersel. En commençant par cette belle histoire, la nôtre, celle du Nouveau-Né, un voyageur cosmique. 

« L’embryon est un bolide cosmique, la croissance de ce dernier est d’abord d’une puissance physique phénoménale, colossale. Ecoutez bien ceci : si la croissance de l’embryon se prolongeait chez le fœtus, donc pendant les neuf mois de la grossesse, le crâne du nouveau-né, arrivé à terme, occuperait à peu près le volume de la Terre ! Heureusement, dès la neuvième semaine, début de la période dite fœtale, l’environnement, les stimulations périphériques – olfactives, tactiles, puis auditives –, autrement dit l’acquis, interviennent pour moduler, pondérer, différencier l’explosion créatrice de l’inné, canalisant la formation des différents organes. C’est comme si l’âme, désireuse de s’incarner, arrivait d’abord telle une météorite, à une vitesse prodigieuse, pour peu à peu ralentir sa course, à mesure qu’elle entre en contact avec notre monde, par tous ses sens, prenant ainsi progressivement une forme humaine, laissant modeler son programme génétique par son interaction avec le monde. Or, l’essentiel de cet acquis lui vient comment ? Par l’intermédiaire de sa mère ».

Mais qui est le professeur Relier ? Né en 1915 et décédé en 2004, le professeur Relier a dirigé le prestigieux service de Médecine Néonatale de l'Hôpital Port-Royal à Paris où il a succédé au Professeur Alexandre Minkowski. Comme pédiatre néonatal, il fait appel au savoir-faire médical d’avant-garde, mais aussi à la sagesse que lui inspirent les traditions spirituelles, notamment celles des Védas de l’Inde - réflexions multiséculaires sur l’incarnation. 

Et voici un autre extrait issu du chapitre « Cosmos » sur le témoignage si humain du Professeur Relier : 

« Nous avons parfois l’impression, me confirme le professeur, qu’un nouveau-né prématuré refuse délibérément de survivre. Comme si son âme avait eu besoin de ne s’incarner que le temps d’une grossesse. Comme si la suite du programme ne l’intéressait pas pour son évolution personnelle. Et lorsqu’il [J.-P. Relier] se trouve devant un prématuré de 1500 grammes, il n’y a pas loisir de méditer. Il y a urgence, il faut se décider vite. Pourtant le sentiment d’émerveillement est toujours présent. Même après quarante ans de pratique, l’incarnation d’une âme demeure un mystère extraordinaire. On a l’impression de se trouver confronté là, très abruptement, à l’une des portes vers l’infini, l’indicible, le divin… appelez cela comme vous voudrez. Le fait de devoir quotidiennement travailler avec ces êtres de l’extrême bord vous oblige – en tout cas m’a personnellement obligé - à réfléchir ce que « humain » veut dire, et à ce que « prendre un corps humain » signifie. Cette réflexion sans cesse renouvelée sur le mystère de l’incarnation m’a ouvert des perspectives spirituelles qui ont changé ma vie ».

Cette réflexion est également venue me saisir, m’a interrogée, lorsqu’en 1965, alors âgée de vingt-trois ans, j’ai commencé cet accompagnement avec tant de bébés. C’est une invitation incontournable de questionnement sur cette expérience infinie, cette interpellation, du sens de l’incarnation qui échappe, mais amène au fil des ans à être de plus en plus présent à la « Grâce » vécue dans ces moments de reliance à l’enfant, au parent. 

Je poursuis avec ce passage du livre où une maman qui, après plusieurs essais de procréation médicalement assistée - le sixième, qui fut le bon -, se retrouve sous le choc du traumatisme : 

« - Je ne sais pas si je m’en remettrai un jour Monsieur. Perdre son enfant à la naissance est la tragédie la plus absurde qui puisse exister. 

- Voyez-vous Madame, commença-t-il en souriant très légèrement, vu du dehors, vu par vous, et par nous tous ici, vos petites filles ont passé dans votre ventre neuf mois - ou huit mois, ou sept, peu importe, disons trois dizaines de semaines. Mais cela reflète une vision extrêmement relative, incomplète de la réalité, et je dirais même fausse, totalement fausse. Vu du dehors, c’est-à-dire de notre point de vue, dans notre échelle temporelle, votre grossesse a duré huit ou neuf mois. Mais pour vos jumelles, il en a été tout autrement. Vu du dedans, c’est-à-dire de leur point de vue à elles, Madame, vos filles ont passé en vous… je dirais entre un et deux milliards d’années! […] C’est le temps qu’il a fallu à la vie pour évoluer des premières cellules vivantes jusqu’à l’humain. Vous le savez sans doute: chacun de nous, après sa conception, a parcouru en accéléré dans le ventre de sa mère toutes les étapes de l’évolution. Nous sommes partis du minéral, pourrait-on dire, pour aboutir à ce que nous sommes aujourd’hui. Extraordinaire, incroyable, fabuleux voyage! Nous croyons savoir comment cela se passe, mais en réalité, nous fanfaronnons! Nous n’en savons vraiment pas grand-chose, et même quasiment rien. Nous croyons savoir ce qu’est le temps, et nous disons, très sûrs de nous: « Une grossesse dure neuf mois ». Mais ce qui se passe réellement à l’intérieur d’un ventre de femme, l’invraisemblable magie qui s’y déroule pendant la durée d’une grossesse, cette alchimie qui d’un ovule et d’un spermatozoïde va conduire à un être ultrasophistiqué, au fond, tout cela aucune science ne sait le comprendre ni l’expliquer. Le saurons-nous jamais? J’affirme que ce n’est pas une simple liberté poétique que je prends quand je dis que vos filles ont fait en vous, qui étiez accompagnée de leur père, ce fabuleux voyage de plusieurs centaines de millions d’années. Pour elles, cela s’est réellement passé ainsi! Scientifiquement, c’est une façon d’expliciter la fameuse phrase des embryologistes de la fin du XIXe siècle découvrant, émerveillés, le parallèle entre l’évolution de la personne et celle de la vie sur terre: « l’ontogenèse récapitule la phylogenèse ». […] Maintenant je vais vous dire, Madame, ce que, personnellement, je crois. D’abord, je pense qu’au cœur de chacun de nous palpite une âme et que cette âme voyage. J’ignore tout des lois qui régissent ce voyage. Ce que nous savons, c’est que parfois, une âme vient prendre forme dans le ventre d’une femme. Un jour, deux âmes, dont nous ne savons à peu près rien, ont ainsi élu domicile en vous. Pour quelque mystérieuse raison peut-être liée à une évolution qui échappe à notre espace-temps, ces âmes jumelles avaient envie, ou besoin, de vivre quelques centaines de millions d’années en vous. Là, bien installées dans votre giron, elles ont traversé tous les états qui vont de l’être unicellulaire à l’être humain. Ce fut forcément une expérience extraordinaire. Forcément une expérience incroyable qui les a nourries, qui les a aidées à avancer plus loin sur leur chemin. Seulement voilà: pour des raisons que j’ignore toujours, et vous aussi semble-t-il, la suite de l’histoire, l’étape suivante, celle que nous appelons fièrement « vie humaine », n’était pas inscrite dans leur programme, ou peut-être ne les intéressait pas. Après avoir vécu un milliard d’années en vous, ces âmes sœurs ont tiré leur révérence. Elles s’en sont allées voir ailleurs, en quête d’allez savoir quelle étoile. Elles sont parties et vous et votre mari n’avez pas entendu qu’elles vous remerciaient du fond du cœur, qu’elles vous bénissaient secrètement. N’entendant rien, vous avez eu au contraire la sensation que toute cette aventure avait été absurde, inutile, qu’elle n’avait servi à rien. Et vous êtes tombés dans un grand désarroi, dont vous avez pu avoir l’impression que vous ne sortiriez jamais. Ce qui est tout à fait normal. Et pourtant, ma vieille expérience - voilà trente-cinq ans que sont passés entre mes mains des milliers de bébés, souvent minuscules, pesant moins d’un kilo, à la croisée des chemins entre la vie et la mort -, ma vieille expérience m’autorise à vous le dire avec une grande confiance : non, cette aventure n’était pas absurde Madame. Ce fut une grande histoire d’amour, qui a eu un sens très important, pour vous et pour vos deux enfants. Ce sens vous échappe. Il m’échappe aussi. Mais il existe. Nous devons faire confiance à la vie, même si elle nous dépasse infiniment. Les dernières phrases du pédiatre avaient été prononcées d’une voix de plus en plus calme. A la fin, il chuchotait presque. Une paix étonnante s’était installée sur toute la tablée. Après un long silence, la femme blonde dit simplement: « Je vous remercie »».

Ces quelques extraits sur cette approche bien sûr limitée de l’embryologie sont en concordance avec ce que je vivais et ressentais lors de l’accompagnement de tant de bébés avec des vécus si différents. Ces moments si interpellants quand la naissance a été difficile, une césarienne non-prévue, des difficultés neurologiques à la naissance, le bébé qui ne crie pas, le bébé placé directement en couveuse et également lorsque l’accordage, ce contact si important par le regard entre la maman et le bébé, ne parvient pas à se réaliser… tous ces moments et bien d’autres, m’ont touchée et permis petit à petit de donner du sens au non-sens, dans cette longue traversée du désert parcourue par tant de parents et qui a été si souvent l’ouverture d’un chemin du cœur. 

« Avoir l’espoir, ce n’est pas avoir l’espoir que tout ira bien. Avoir l’espoir, c’est que les choses ont un sens ». (Wach Havel)

Cette vision m’a nourrie en clarté et en beauté lors de l’accompagnement des enfants, dans ma pratique de l’induction du mouvement conscientisé, et elle a abouti à une précieuse prise en charge précoce des bébés. Ce qui nous a permis de constater une transformation rapide dans le développement harmonieux de la totalité de leur être. Aussi, cette expérience avec les bébés, d’interaction dans la reliance, m’apparaît comme un « présent », dont je cultive le secret espoir de partager l’essence, avec les mamans, parents, puériculteurs, toute personne se sentant en communion de cœur avec cette perspective.

Rien n’est figé à la naissance, ceci grâce à la plasticité cérébrale. 

C’est ce que nous allons découvrir à présent. 

Rien n’est figé à la naissance et ceci grâce à la plasticité cérébrale, tout est en évolution tout au long de la vie. C’est ce que nous allons aborder, découvrir à présent, dans cette conception de l’accompagnement du bébé et de l’enfant vers plus ou moins quatre mois et jusqu’à l’âge de onze ans

Soulignons l’importance de la précocité dans l’accompagnement du bébé, qui se situe vers plus ou moins trois mois, facteur clé pour l’évolution la plus harmonieuse possible. Ce délai précieux de trois, quatre mois permet au nourrisson d’atterrir de son « voyage cosmique », et laisse le temps à un remodelage naturel du cerveau. 

Dans notre pratique avec les enfants en souffrance, il ne s’agissait pas d’améliorer des structures profondément lésées du cerveau, mais de créer une modification de ces lésions en travaillant à partir des territoires encore inemployés, de travailler tout ce qui n’était pas lésé pour construire à partir du rameau encore vivant. 

C’est tout le thème de la plasticité cérébrale, grâce ici à l’induction du mouvement conscientisé.  

Entamons cette partie capitale « La plasticité cérébrale » avec en premier lieu un bref aperçu théorique, pour ensuite étudier comment passer de la théorie à la pratique.

Je me suis appuyée sur le livre de la neuroscientifique Sharon Begley Entraîner votre Esprit… Transformer votre cerveau, pour évoquer comment la science révèle l’extraordinaire neuroplasticité de notre cerveau. J’en reprends quelques extraits qui viendront, je l’espère, nous éclairer. 

« En 1890, William James, le père de la psychologie expérimentale aux Etats-Unis est le premier à appliquer le terme de plasticité, en disant que la matière organique, notamment le tissu nerveux, semble doué d’un extraordinaire degré de plasticité ». 

« Puis il faut attendre les années 1980-1990, cent ans après, pour reconnaître que le cerveau a la capacité de régénérer les régions endommagées, de produire de nouveaux neurones, d’attribuer une tâche à des aires qui en effectuent une autre, de modifier la circuiterie qui façonne les réseaux neuronaux mais en permettant de mémoriser, de sentir, de souffrir, de penser, d’imaginer, de rêver ». 

« Le concept de la neuro-plasticité suggère donc que le cerveau est fortement malléable et sujet aux changements en raison des expériences de vie, en sorte que les neurones peuvent nouer de nouvelles connexions ou qu’ils produisent des neurones tout neufs. Oui, le cerveau d’un enfant possède une remarquable malléabilité et bonne nouvelle, beaucoup plus récente, le cerveau peut transformer ses structures psychiques jusqu’à un âge avancé ». 

« Et Helen Neville pose la question (au Dalaï Lama en 2004) : « Et si les fonctions spécialisées des diverses régions du cerveau n’étaient nullement fixes, ni par l’ADN, ni par quoi que ce soit d’autre ? Mais [que c’était] plutôt les stimuli environnementaux, et par conséquent le vécu de la personne, qui modulent le développement et la spécialisation des régions et des circuits ? ». Elle continue en disant : « l’esprit fait bouger les montagnes voilà l’essentiel de ma recherche ». 

Virtuellement, chaque système cérébral dont nous connaissons l’existence, systèmes visuels, systèmes auditifs, systèmes attentionnels, systèmes langages, est façonné par l’expérience et ce, de manière significative. Pour nous thérapeutes, il sera excessivement important de venir stimuler, éveiller tous ces systèmes. [Sh. Begley] conclut en disant : « voilà ce que j’entends par Neuro-plasticité. Certains systèmes cérébraux sont beaucoup plus plastiques que d’autres. Quelques-uns ne sont malléables qu’au cours de périodes circonscrites, tandis que d’autres sont capables de tout changer tout au long de la vie et c’est là où nous serons tributaires de cette réalité ». 

Je terminerai cette petite introduction théorique par deux phrases importantes que je reprendrai ultérieurement et que je vous demande de bien mémoriser : 

1. Les cellules qui s’activent ensemble sont câblées ensemble. Stimuler la même chaîne de neurones encore et encore, augmente les chances que ce circuit s’active jusqu’à la fin de la chaîne. Ceci nous permet déjà de comprendre l’importance de la répétition des exercices chantés et j’y reviendrai bien sûr. 

2. La neuro-plasticité est impossible sans l’attention et l’effort mental, c’est-à-dire sans la concentration. 

En conclusion, nous pouvons en déduire que le cerveau est le fruit du vécu, qu’il subit des changements physiques en réponse à la vie que mène son propriétaire. Voilà qui me semble être une source concrète d’espérance, qui amène à une approche dynamique, une interaction ouverte sur tous les possibles, nous permettant d’éviter de faire des projections sur le futur. 

Cette pratique de l’induction du mouvement conscientisé consiste en un travail répétitif qui, dans notre pratique avec des bébés et enfants en souffrance, ne donnera parfois ses fruits qu’après des mois,
peut-être des années, et qui demande une présence attentive, de la patience, confiance, constance, compassion, respect, bienveillance. Source de bien-être qui confère un sentiment de sécurité affective, une transformation harmonieuse du vécu du bébé. C’est une relation, une interaction d’être à être. 

Et je reprends les quelques lignes que le Docteur Kulakowski a écrites au sujet de ce travail dans la monographie de Marcelle Procus : « Une pensée originale, une pratique cohérente, bien en avance, mais aussi en accord avec les ouvertures récentes de la neuropsychologie moderne qui mettent en exergue les données concernant le développement et l’importance de la plasticité cérébrale ». 

Alors comment passer de la théorie sur la plasticité cérébrale à la pratique ? 

L’induction du mouvement conscientisé consiste à induire le mouvement pour déclencher la création spontanée du mouvement et aboutir à l’acquisition consciente du geste chez le nourrisson, le bébé, le jeune enfant, quel que soit son âge, son atteinte neurologique ou psychologique. 

Elle consiste en un ensemble d’exercices chantés, qui mettent tout le corps du bébé ou du jeune enfant en mouvement : pieds, jambes, bassin, tronc, bras, tête. Ces mouvements sont répétés à chaque séance avec la même chanson, dans le même ordre, et agit tant au niveau physique, psychique qu’énergétique et permet ainsi à la « Totalité de l’être » de se construire ou de se reconstruire. 

L’induction du mouvement conscientisé est génératrice d’une communication, d’une relation à l’autre, d’une interaction dynamique, d’une attention prolongée active du bébé et moi-même. 

Pour que l’induction du mouvement conscientisé puisse devenir consciente, s’inscrire au niveau du cortex et être engrammée, il faut la répétition. Ce mot engendre bien souvent une confusion avec : 

  • Réflexe ;

  • Conditionnement ;

  • Automatisme.

Ce n’est ni l’un ni l’autre, car la répétition doit s’accomplir comme si le mouvement naissait pour la première fois dans toute la fraîcheur de sa nouveauté. Ainsi à chaque fois, le mouvement est à la fois créé et recréé, car, d’une part, l’enfant ainsi que moi-même ne sommes jamais identiques, et d’autre part, le rythme, l’amplitude du mouvement, le ressenti du mouvement et sa réponse sont à chaque fois différents. 

J’envoie une impulsion informée, une information sensitive et sensorielle, un influx. Et je suis à l’écoute, attentive, par mes mains et tout mon être, à une réponse infime en retour, à la moindre ébauche du mouvement actif volontaire pour être en harmonie avec celui-ci. Il s’agit d’une réflexibilité de l’un à l’autre, comme le flux et le reflux des vagues, comme une valse à deux temps, où chacun est à la fois émetteur et récepteur : je donne et je reçois, je reçois et je donne.

Il s’agit de susciter ce mouvement de circulation de vie car je ne peux « me donner et me recevoir » que par l’autre, que par l’expérience de l’altérité : 

« Le secret de la vie c’est se donner et se recevoir », écrit Alphonse Goetman.

« Le plus court chemin de moi à moi-même passe toujours par autrui », selon Habachi.

« La vie consiste en répétitions. Or tout usage engendre l’usure et ce dont on a usé est usé. Et pourtant dans le domaine de la vie, il importe justement que les répétitions n’engendrent pas de dégradation. Elles devraient s’accomplir comme si le mouvement ou l’œuvre dont il s’agit, naissaient pour la première fois dans toute sa fraîcheur et sa nouveauté ». 

Il s'agit d'une créativité à chaque fois renouvelée et revenons à cette phrase : les cellules qui s'activent ensemble, sont câblées ensemble. Un peu comme si au départ, par cette interaction entre le bébé et moi-même, nous nous trouvions dans la brousse, et que nous partions de rien, ensuite une trace va apparaître, une piste, un chemin, une route et pourquoi pas, un boulevard. Et ainsi en stimulant, par la répétition, la même chaîne de neurones - encore et encore et encore - à chaque fois par de nouvelles informations sensitives et sensorielles de son propre corps en mouvement, en éveillant ou ré-veillant la pulsion de vie, l'élan de vie, celles-ci pourront être mémorisées, intégrées, engrammées et devenir une expérience vécue qui permet au bébé ou enfant d'entrer dans son enveloppe corporelle, de sentir et ressentir, de vivre ce corps qui est le sien. Par la répétition qui peut être quotidienne, ou deux à trois fois par semaine, les acquis vont progressivement être intériorisés par le bébé, reproduits ultérieurement dans des contextes similaires ou lors de nouvelles expériences exploratrices. Une trace mnésique pourra ainsi apparaître.

Lors de cette interaction, une véritable connivence, une rencontre s'installe petit à petit entre le bébé et moi-même. On pourrait dire que je sais qu'il sait et qu’il sait que je sais qu'il sait. Ce savoir n'a rien à voir avec la conceptualisation mais plutôt avec l'intelligence du cœur. Je peux pressentir quelque chose de plus profond, de plus vaste qui appelle à vivre cet instant présent dans toute sa nouveauté, dans toute son intensité : moment qui interpelle et invite à aller au-delà d’une vision limitée.

Chaque étape nouvelle dans l'évolution neuro-motrice du bébé est la modification, l'adaptation posturale d'une fonction motrice préexistante. Par l'induction du mouvement conscientisé, nous amenons progressivement le bébé de la position couchée à la position assise, de la position assise à la position debout mais sans oublier de passer par toutes les étapes intermédiaires qui malheureusement aujourd'hui sont souvent oubliées et non-expérimentées par le bébé. Je pense au rouler-bouler, c'est-à-dire passer du ventre sur le dos et du dos sur le ventre, au ramper sur le ventre, d'abord en arrière et puis en avant, au déplacement sur le dos en poussant sur les pieds, au passage important par le « quatre pattes », seul exercice que sollicite le corps calleux et qui joue un rôle important au niveau cognitif, puis au passage de la marche à genoux et en accroupi pour arriver à une station debout qui entraîne cette verticalisation à partir des pieds et qui permet de s'enraciner.

Si à travers cet écrit, j'aborde avec vous l'évolution neuro-motrice du bébé, l'approche est tout à fait identique au fil des ans. Simplement que lorsque l'enfant aura quatre, cinq ans, nous ne parlerons plus d'éducation neuro-motrice mais bien de rééducation psycho-somatognosique. Et ceci pourrait être développé ultérieurement, car nous avons suivi des enfants en difficulté jusqu'à l'âge de onze ans, avec bien sûr une adaptation de la pratique en fonction de l'âge et de la problématique. 

En effet, « la somatognosie ne s'élabore véritablement chez l'enfant qu'à l'âge où naît la conscience de la personnalité comme sujet autonome », selon Ajurigueira et Hecaen. 

Notre pratique consiste en une petite gymnastique avec le bébé à partir d’environ quatre mois et dont voici les différents mouvements, que nous induisons à chaque séance, dans le même ordre.

Mouvement des pieds

Le bébé est couché sur le dos sur un lit divan de façon sécurisante et apaisante. Nous lui prenons les pieds, fléchissons les jambes et chantons sur un ton très doux « Tourner les pieds » pendant que le bébé suit du regard, quand c'est possible, ses pieds qui tournent dans un sens puis dans l'autre. Lors de cet exercice, nous lui mettons un pied, puis l'autre ou les deux ensemble sur les cheveux, le nez, vers la bouche. Il lui arrive parfois de se mordre les orteils. 

Une mimique d'étonnement, de surprise, de plaisir, de dégoût ou même de colère peuvent apparaître. Ces brefs moments de déplaisir ou de frustration suscitent des expressions émotionnelles plus nuancées telles que le doute, l'embarras, un petit désagrément, la tristesse. Mais notre sourire, nos paroles ou tout autre réponse appropriée, opportune ou adéquate le rassurent et dans le meilleur des cas, il joue alors avec ses pieds et réalise ainsi sa propre expérience. 

Ce passage à des émotions opposées, plaisir-déplaisir, lui permet une première identification. Par la joie que l'enfant découvre à se toucher, à se palper, à jouer avec son propre corps, il s'initie à la représentation de son schéma corporel. Le schéma corporel est fondé sur l'expérience « Wallon ». 

Si les pieds des enfants touchent les différentes parties de leur corps, ils touchent également le nôtre et à chaque fois la partie touchée sera citée. Par le fait qu'il se touche mais ose également nous toucher, il est possible à l’enfant de percevoir une première différenciation entre le « moi » et le « non-moi ». 

Ce sont les prémices de la perception de l'autre.

Mouvement alternatif des membres inférieurs

Nous saisissons les jambes près des chevilles et il s'agit d'un mouvement de flexion - extension alternative des membres inférieurs, y compris les hanches en chantant « Le petit train s'en va dans la montagne ». Nous commençons le mouvement de façon très lente, dans une amplitude complète et correcte. La voix est douce, ferme et pleine de gaieté. Nous essayons de recréer les premières relations que son corps aurait pu connaître comme moyen de communication avec le monde extérieur. 

Nous devons donc être à l'écoute de la moindre réponse, de la moindre ébauche de mouvement volontaire pour être en harmonie avec son rythme. Le rythme très lent au début deviendra par la suite plus incisif, plus rapide, mais toujours adapté à ce que le nourrisson nous indique. Il sera par conséquent différent à chaque leçon car nous devons respecter, être en accord avec l'impulsion infiniment fine que le nourrisson nous donne. Nous devons également par l'intonation et les inflexions de la voix ou par toute autre réponse lui signaler toute modification du rythme au cours de l'exercice. 

Mouvement d'extension des hanches

Nous appliquons les deux pieds du bébé sur le divan, les jambes fléchies. Nous lui demandons de soulever le siège et puis de le descendre. Au début nous donnerons toute l'impulsion du mouvement, et au fur et à mesure nous relâcherons notre prise de main, pour que le bébé puisse petit à petit le réaliser. 

Nous dirons : « Lever... Lever… » et « Boum » quand il descend. 

Mouvement de rotation du tronc

Nous demandons au bébé de prendre ses pieds avec ses mains, mais bien sûr en suscitant ce mouvement et en l’aidant à saisir ses pieds avec ses mains. Nous prenons alors pieds et mains dans les nôtres et nous faisons tourner tout le corps à droite et à gauche, en surveillant la tête afin qu’elle tourne en même temps et en disant : « et roule et boule ». 

Mouvement des bras

D’abord l’abduction. Devant les yeux de l’enfant, nous lui demandons de donner les mains. Au début nous suscitons cette prise de main et ensuite nous ouvrons les bras latéralement, et les ramenons au centre en chantant : « Il était un petit navire… ».

Ensuite, nous pratiquons l’élévation alternative des bras au-dessus de la tête et le long du corps en chantant : « Pif –Paf ».

L’assis 

L’assis est obtenu en demandant au bébé de lever la tête. Nous lui donnons les deux mains, et tout en lui disant : « Assis », « Bien tenir la tête », nous l’accompagnons pendant ce moment de passer du couché à l’assis. Nous continuons à le tenir selon son âge en assis et ensuite nous lui dirons : « Couché, doucement, couché et bien tenir la tête ». 

Plus tard, nous lui indiquerons comment en tournant le corps à droite et en s’appuyant sur sa main droite, il pourra également passer en position assise. Nous ferons le même exercice en partant vers la gauche.

Réflexe postural avec extension de la tête, des bras et des mains

Lorsque le bébé a déjà bien progressé, nous pouvons le suspendre par les pieds en le balançant prudemment et doucement de droite à gauche. Ceci afin d’obtenir le réflexe postural avec l’extension de la tête, des bras et des mains. Et en même temps, lui donner des notions d’espace. Nous disons pour accompagner cet exercice « Tic et Tac ». Plus tard, il pourra déposer les mains sur le sol et s’initier à faire la brouette.

Mouvement de flexion et d’extension des hanches

Nous replaçons le bébé sur le divan, sur ses genoux, et nous le maintenons avec une main sous les bras. De l’autre main, nous saisissons ses pieds et nous l’amenons à exécuter un mouvement de flexion et d’extension des hanches en chantant « Dominique… s’en allait tout simplement… ». Petit à petit nous amènerons ses fesses vers ses pieds et ce sera l’initier au quatre pattes en lui faisant déposer les mains devant lui sur le divan. 

Lorsque le bébé commence à bien intégrer ces mouvements, au lieu de continuer à faire les exercices sur le divan, il sera déposé sur le sol où les expériences de son corps en mouvement pourront l’amener à d’autres explorations et découvertes, que nous continuerons à induire en se référant au développement neuro-moteur, et en tenant compte de son âge et de son évolution. 

Nous veillerons également à ce que la séance soit entrecoupée par un temps de massage et de jeu.

Car c’est en jouant, en explorant avec toute cette conscience de vie que le mouvement devient un moment de création - recréation qui met le bébé littéralement en son corps. 

Je me limiterai dans ces pages à vous parler de l’accompagnement du bébé de trois à quatre mois, jusqu’à deux ans et demi. Mais un même fil rouge se retrouve à chaque étape du développement neuro-psycho-moteur de l’enfant et s’articule autour de différents invariants. Alors comment se déroule chaque séance d’accompagnement du bébé et de l’enfant d’environ quatre mois, et jusqu’à l’âge de onze ans ? 

Il s’agit d’une séance individuelle ou en petit groupe et qui comprend :

  • L’accueil et l’interaction avec le bébé ou enfant

  • L’induction du mouvement conscientisé et le développement neuro-psycho-moteur

  • Le jeu

  • Le massage

  • La présence de deux thérapeutes à chaque séance

  • La richesse de l’interaction d’un petit groupe de trois, quatre bébés ou enfants 

Reprenons chacun de ces points et commençons par 

L’Accueil et l’interaction avec le bébé en nous posant cette question : 

« Comment le bébé est accueilli et comment le bébé accueille son entourage ? »

Moment oh combien interpellant et important pour nous, car tant de choses se passent déjà lors de la première rencontre, du premier regard, du premier contact, du premier ressenti du parent qui vient déposer ses interrogations, son inquiétude, mais également une espérance dans la prise en charge bienveillante du bébé. Moment de silence et de laisser ce silence se transformer en empathie pour tout le questionnement intérieur du parent. En même temps, c’est le premier contact avec le bébé par le regard. S’apprivoiser en douceur… 

Quand je ressens que le bébé me donne son accord, alors je propose au parent de venir découvrir la salle dans laquelle nous disons à l’enfant qu’il va venir jouer et chanter avec nous. Car lors des premières séances, nous sommes toujours à deux thérapeutes. Et ceci me semble bien précieux pour les raisons suivantes :

  • Parce que le plus rapidement possible, nous essaierons d’intégrer le bébé dans un petit groupe de bébés de son âge et ainsi il nous connaîtra déjà toutes deux ;

  • Ce qui me semble aussi rassurant et dans le respect de ce que vit le parent, c’est que l'un des thérapeutes ne prennent pas une place de toute puissance de « la bonne mère » qui saurait et pourrait être plus compétente que lui ;

  • Pour permettre une alternance entre ma collaboratrice et moi-même lors des moments de massage et les moments d’exercices chantés d’induction du mouvement. Pendant les moments où je ne suis pas avec le bébé, je peux accompagner la maman si je la sens en détresse, en questionnement. La soutenir et lui montrer déjà ce qu’elle peut réaliser avec son bébé dans le quotidien tout au long de la journée par une prise de conscience de comment le tenir, le déposer sur le lit, lui parler, le faire bouger, etc. et ainsi créer une interaction de confiance, d’espérance. Temps précieux à respecter. L’accompagnement se fera au départ au niveau du nursing. Déjà permettre à la maman d’accompagner son bébé par la voix, le toucher, le ressenti des émotions. Ainsi, pour un torticolis par exemple, comment orienter le lit, comment tenir le bébé quand il est nourri, etc. Je parle de la maman ou de toute autre personne substitut, quand pour la mère cet accompagnement est parfois trop douloureux, ou n’est pas possible.

Le deuxième point essentiel et que je viens de développer ci-dessus est 

L’Induction du mouvement conscientisé 

Et je vous invite à y replonger, car c’est un point capital de notre vision d’accompagnement et la répétition ici aussi prend tout son sens.

Parlons à présent du Jeu

Le jeu est le mode d’expression naturel et privilégié chez le nourrisson, l’enfant. Et nous pouvons déjà dire que le fait de jouer avec lui est présent à tout instant à travers le massage, les exercices d’induction, ainsi qu’au tout début dans l’accompagnement de son développement neuro-moteur. Vont ainsi alterner, avec les exercices, des moments de jeu adaptés à son âge, à ses possibilités. Car l’enfant se trouve à ce moment-là près d’un ensemble de jouets de toutes sortes, qui lui permettent une infinité d’usages. 

Une infinité d’usages comme remplir, vider, ouvrir, fermer, faire rouler (une petite voiture ou un petit bus), etc. Sans oublier les jeux à portée symbolique comme la notion d’absence - réapparition : par exemple, nous laissons tomber un petit bloc dans un montage de plusieurs cubes troués au centre, et nous disons à ce moment-là : « toc, toc, toc, parti », et puis nous aidons l’enfant à soulever tous les cubes pour finalement constater avec joie que : « le petit bloc est là ». Lors de ces expériences, formuler l’essentiel par la parole favorise, chez bébé, le développement d’un sentiment de sécurité. Et dans certaines circonstances, nous pourrons par exemple faire des analogies avec ce qu’il vit en lui disant : « Oui, maman est partie, et maman va bientôt venir ».

Lorsqu’il se réalise dans un groupe de plusieurs enfants, le jeu permet une grande émulation relationnelle, où les enfants vont apprendre à faire les uns avec les autres. Ainsi, quand l’enfant souhaite un jouet, comme un petit bus, et qu’il le pointe avec la main, nous lui demanderons : « Est-ce que tu veux jouer avec le bus ? », afin de reconnaître son besoin en le formulant et de nous assurer de bien l’avoir compris. Ce genre d’expérience touche aux prémices si importantes du langage. 

Lors des séances, l’enfant est invité à apprendre à composer avec l’autre. Si, par exemple, un objet a roulé, l’enfant pourra, en se déplaçant en assis, ou à quatre pattes, ou en rampant, essayer de l’attraper. Pour ensuite parfois être invité à le partager avec l’un de ses compagnons. Mais il pourra aussi taquiner ce dernier en le gardant, en le cachant.

Tous ces moments spontanés d’une grande richesse de jouer avec l’autre, mais également d’amener l’autre à jouer avec soi créent une ambiance de plaisir réciproque. Notre présence, notre regard, nos paroles accompagneront ces moments privilégiés, plongeant ainsi l’enfant dans l’instant présent qui ouvre sur une harmonie et justesse dans la relation à l’autre.

Terminons par le Massage, Message au corps de l’enfant

Le massage dure une dizaine de minutes. La délicatesse de l’application dépend de l’âge du nourrisson. En effet, plus celui-ci est jeune, plus le toucher du bout des doigts des deux mains est fin et léger. Et parfois simplement au niveau éthérique. Les lents effleurages et pétrissages tout en finesse respectent le sens physiologique du retour de la circulation au cœur ; ainsi nous commençons par la jambe gauche suivie par le bras gauche, la jambe droite, le bras droit, le ventre dans le sens du péristaltisme intestinal et enfin le dos. Ceci de peau à peau, sans intermédiaire tel que le talc ou l’huile.

Le massage permet une modification du tonus du nourrisson et une amélioration de la circulation superficielle et profonde grâce aux échanges biologiques, hormonaux et chimiques. Le massage est surtout l’approche première par le contact permanent de notre main qui nous permet d’être en résonance avec le corps, comme entité en action, du bébé. C’est le premier dialogue avec le corps de l’enfant, il agit au niveau du senti et du ressenti de celui-ci.

La main est action : elle prend contact avec le corps de l’enfant, elle crée, à chaque fois. Nous pourrions même dire qu’elle pense. Par une pression de la main un peu plus ferme ou par des tapotements doux, nous lui ferons sentir où sont ses cuisses, ses bras, ses jambes, ses pieds, sa tête avec les yeux que l’on va lui cacher en disant « coucou », ses oreilles que l’on va tirer avec gentillesse, son nez que l’on va pincer avec douceur, dans le but de favoriser la représentation mentale et sensible du toucher

Les sensations tactiles ainsi ressenties par le nourrisson, vont lui donner progressivement la possibilité de découvrir les limites de son enveloppe corporelle, même s’il n’est pas unifié, et plus tard peut-être la connaissance d’un corps vécu, d’un corps sensible. 

Nous pouvons également, lors du massage, introduire des petites comptines, comme « la petite bête qui monte, qui monte », en pianotant depuis son ventre jusqu’au nez et ainsi nous pourrons peut-être parvenir au sourire, au rire, à la joie du fou-rire. Pensons encore à l’histoire de « Jean Petit, son papa, sa maman, son frère, sa sœur », en pinçotant chacun des orteils. Pendant le massage, notre relation avec l’enfant se vit à travers le langage du corps et nos mains prennent contact avec un corps qui vit, qui bouge et qui exprime. 

C’est le moment privilégié d’un dialogue non-interrompu entre le nourrisson et moi-même, par la voix, le silence, le regard, la mimique et la main qui masse. « Je masse ton bras… Et le ventre… Tout ton dos… ». S’il gazouille, vocalise ou babille, je l’imite et introduis d’autres sons pour lui donner l’appétence et l’envie de jouer avec sa voix, de communiquer. S’il pleure, je l’accueille, et bien souvent, il n’y a pas de paroles, pas de mot sur les maux, mais mon regard accompagne cette intention profonde de compréhension, cette intention qui vient du cœur. 

Le massage est un message au corps du bébé dans son respect le plus complet avec son accord tacite, dont découle son bien-être. Il lui procure progressivement une harmonie corporelle, une détente physiologique et psychique, mais également une perception du contenu et du contenant qui le constitue. Car lors du massage, l’intermédiaire entre moi-même et l’enfant c’est la peau, surface de contact avec le monde et qui a une fonction réflexible. Le massage doit être vécu comme suffisamment contenant, comme suffisamment limitant pour lui permettre de découvrir, petit à petit, son enveloppe corporelle. 

En essayant de créer un espace intérieur permettant parfois au souffle de vie de re-circuler, pour que l’enfant puisse vivre sa peau et construire ses enveloppes psychiques, son ressenti corporel, le massage devrait être également vécu de manière harmonieuse et non-intrusive par l’enfant. Car le bébé ou jeune enfant a des mémoires, des émotions, des pensées et il a besoin d’exprimer son vécu, y compris la souffrance, la douleur, l’inorganisation corporelle, la dépression, l’anorexie, lorsqu’elles existent.

Le massage est un dialogue vibratoire, une communion avec ce qui habite le corps : ceci par la main, le regard, la respiration, la voix, le silence, la mimique. Et avec une confiance illimitée, posée avec compassion sur l’enfant, capable d’en saisir la vibration de bien-être. 

Et nous arrivons ici à ce point capital de comment toucher le bébé, l’enfant. 

En citant quelques lignes de J.-Y. Leloup : 

« Massage extrêmement subtil, où je me sens touché, non comme un objet ou comme une viande plus ou moins énervée, mais comme une personne… touché comme par un souffle de présence divine… en tous cas,  […] être touché avec les mains qui non seulement ont un cœur, mais aussi un esprit capable de réveiller par ce simple toucher, l’être intérieur ».

Ces quelques lignes reflètent l’expérience que j’ai rencontrée au fil des ans, car lorsque je suis dans ce moment privilégié, complètement présente à l’autre, où mes mains savent ce que je ne sais pas, il y a un espace dans lequel le souffle peut circuler et ce n’est plus mon « petit moi » qui agit, mais au cœur de ma vie, il y a plus grand que moi, plus aimant que moi, plus patient que moi, plus intelligent que moi. Dans cette confiance absolue à la reliance, le massage est le message au corps de l’enfant, c’est un moment de grâce. 

Ceci nous amène tout naturellement à observer et découvrir les différents systèmes cérébraux sollicités lors de cette interaction avec le bébé tout au long de la séance, lors de l’accueil, de l’induction, du massage et du jeu. 

Commençons par le Système Langage 

En nous arrêtant sur ce court extrait du livre Désir de naître de Nina Canault : 

« Avec ou sans mot il y a langage, et toutes les modalités d’expression de l’enfant, dès qu’il s’adresse à l’adulte, doivent être considérées comme relevant du registre du langage… la parole représente un mode de langage souvent bien inférieur au langage des gestes, au langage des sons, au langage des couleurs, au langage des mimiques, au langage du regard, au regard du silence, moment privilégié d’un « cœur qui écoute » ». 

Les systèmes langages sont activés par le regard, par nos paroles bienveillantes, soutenantes, et aussi en réponse aux sons émis par le bébé, à son babillage ; par la voix lors des petites chansons répétées dans les exercices d’induction du mouvement et dans tous les moments spontanés de vie, d’interaction et de relation ; par le silence lors des moments de massage et de présence du toucher.

« La voix serait apparue très tôt dans l’évolution de notre espèce, comme une des premières formes d’expression et de communication préparant au langage, c’est d’abord la musicalité de la parole que perçoit le bébé et cela même avant la naissance, parce que le fœtus commence à entendre à quatre mois déjà. Et je vous rappelle qu’à ce stade il baigne dans un monde de respiration, de battements de cœur, de rythmes et vibrations. Son système auditif est mature à six mois, il entend donc trois mois avant de naître toutes sortes de bruits et de sons, et avant tout, souvenons-nous, la voix de sa mère mais essentiellement ses basses fréquences, puisque tout le reste est filtré par la paroi utérine – et les basses fréquences restituent avant tout le contour mélodique de la parole », nous partagent Isabelle Dumont et Jean-Luc Fafchamps.

Et le bébé va lui aussi explorer le langage en partant des premiers vagissements et premiers cris du nouveau-né, vers les phonèmes puis les roucoulements et les premières consonnes, sans oublier le rire jubilatoire vers cinq, six mois. 

Dès sa naissance, j’en suis persuadée, le bébé comprend symboliquement ce qui lui est dit, par l’intonation et la tonalité de la voix. 

A sa naissance, le son qui lui est le plus familier à reconnaître est la voix de sa mère, d’autant plus si pendant le temps de la grossesse, elle lui a parlé, a chanté. Mais parfois, à peine est-il né, à peine est-il passé par les chocs traumatiques de la naissance, par l’expulsion, la manipulation, la luminosité, les bruits, etc., parfois, tout à coup, la maman ne lui parle plus, ne pouvant imaginer que ses paroles sont une nourriture affective pour lui. Et c’est alors une perte de repères, de présence, de sécurité. Peut-être sera-ce un choc traumatique supplémentaire que ce silence qu’il pourra ressentir et se dire – et là bien sûr je vais extrapoler pour nous interpeler :

Est-ce qu’on est fâché sur moi ? 

Est-ce que je ne suis pas le « bébé tant espéré » ? 

Est-ce qu’on n’a plus rien à me dire ? 

Est-ce qu’on ne supporte pas mes pleurs ? 

Il est en effet si nourrissant pour le bébé que d’entendre cette voix si connue pendant sa vie fœtale et qui l’accompagne dans ses derniers mois de gestation. Une interaction si riche dans le développement de sa psyché. Et l’on est toujours bien en-deçà de ce que l’on peut imaginer des capacités du bébé et de l’enfant. 

Voici ce que j’ai bien souvent partagé avec tant de parents, tant de mamans qui ne trouvaient pas aisément ce lien ou ne l’imaginaient pas, et qui se sentaient perdues. Et le plus souvent, après ces échanges, un apaisement, une nouvelle sérénité s’installait pour le bien-être de chacun…

Enfin, quand le bébé aura un an, dix-huit mois, lors des petites consignes, en même temps que par la parole, nous le guiderons par la main pour accomplir la tâche demandée : par exemple, en lui disant : « nous partons nous promener, tu peux aller mettre ton manteau ». 

Nous serons attentifs à veiller à ce que son regard soit également à l’écoute. 

Nous accentuons ici l’importance et la beauté d’installer cette interaction, ce dialogue avec le bébé, le jeune enfant qui est un partenaire. Un partenaire qu’il s’agit d’accompagner et de guider le plus tôt possible, ceci avec bienveillance, respect, et confiance réciproque. En deux mots : avec présence et amour.  

Continuons par les Systèmes Auditifs

Au tout début de l’interaction entre le bébé et nous-même, avec la tonalité d’une voix très douce, chantante, psychométrique, qui enveloppe le bébé comme une berceuse, nous éveillons l’écoute du bébé et de l’enfant par la répétition des petites chansons. 

La tonalité, l’intonation deviendra plus tonique, plus enjouée, avec une cadence où nous pouvons de surcroît introduire des effets de surprise en nous arrêtant de chanter, puis en reprenant et en accélérant le tempo. La jovialité dans la voix peut induire une réponse de réciprocité entre l’enfant et moi-même. Lors de cette coïncidence entre ce qui est entendu et ce qui est émis, le plaisir auditif lié au plaisir moteur procure des moments jubilatoires. 

Nous sommes toujours dans les prémices du langage où nous entendons ses premiers balbutiements, les premiers babillages mais également des moments de joie d’être regardé, d’être entendu. Réciproquement, parfois, lors des petites chansons, le bébé, très attentif par son regard qui observe, fixe le mouvement de mes lèvres et semble manger mes paroles. 

A présent, penchons-nous sur les Systèmes Attentionnel et Emotionnels

Lors de ce moment privilégié de partage, se crée un dialogue, un désir (mimétique) qui favorise l’activation des « neurones de l’empathie », dits neurones-miroirs. Neurones qui jouent un rôle important dans les capacités cognitives et interviennent également dans les processus affectifs. 

C’est ce qu’a révélé l’équipe de Giacomo Rizzolatti en 1990. 

Ainsi avec les bébés et jeunes enfants qui ont une difficulté à décrypter, à traduire les émotions chez autrui comme dans le Syndrome de Microdélétion et également dans le Syndrome d’Asperger, je propose que nous commencions très tôt, lorsqu’ils ont quelques mois, à les interpeler par le regard, en exagérant le processus mimétique de contentement, de surprise, de dégoût, de mécontentement, d’interrogation, de joie, etc. pour stimuler l’émotion d’autrui dans leur cerveau et donc ainsi leur permettre de mieux identifier les émotions éprouvées par leur entourage.

Pensons à présent à l’émotion que vit, que ressent le bébé lorsque de façon spontanée, il expérimente les mouvements induits et qu’il est saisi par son propre mouvement, tout neuf, qu’il découvre pour la première fois, et qui le déstabilise. Un moment d’étonnement, de peur, de pleurs peut se manifester. Notre présence, rassurante, par la parole et le regard, permettra à l’enfant d’en refaire l’expérience à nouveau, avec ou sans notre aide. Cette expérience sera enrichie, si les parents soutiennent à leur tour l’enfant dans son vécu, par leurs paroles et leur présence. 

Terminons par l’importance des Systèmes Visuels

Le regard de l’autre sur le bébé, le jeune enfant

Le regard a une importance fondamentale dans la relation avec chaque bébé, accompagnant la création de cet espace d’humanité. Et il revêt une valeur toute particulière pour le bébé en souffrance. 

« On ne se découvre soi-même que dans le regard d’un autre ».

Lors de tous ces moments où nous nommons l’enfant, en nous adressant à lui, notre regard l’accompagne également. 

Le regard que le bébé, l’enfant nous envoie et qui nous questionne

Sourire dans le regard ou difficulté. Fermeture dans le regard ou ouverture. Quelle humilité avons-nous eu à ressentir cette extraordinaire énergie, la beauté d’âme de ces nourrissons, bébés, enfants et qui réalisèrent jour après jour un « travail » que, bien souvent, je le reconnais, je n’aurais peut-être pas eu la force, ni la persévérance d’accomplir sans leur aide, sans cet acquiescement si subtil qu’ils me transmettaient, que je recevais.

Dans cette communion tacite, j’avais confiance dans le fait que tous les possibles étaient possibles. Et cette conscience que la foi transporte les montagnes. À mon tour, je donnais le meilleur de moi-même, et le bébé, l’enfant pouvait répondre à cette invitation qui lui avait été faite au dépassement. 

Le regard par l’intermédiaire du miroir

Par l’intermédiaire du miroir, le regard conditionne l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. Alors vers dix-huit mois, lorsque nous laissions le jeune enfant se déplacer dans la salle où se trouvait un miroir, s’il explorait spontanément l’espace en s’en approchant, et qu’il s’y apercevait, petit à petit, l’enfant s’apprivoisait dans cette découverte. Jouant avec son reflet en tapotant sur le miroir, en le léchant, en lui donnant des baisers. 

Premiers moments de découverte et d’étonnement de l’enfant avec cet autre qui est lui-même, par l’intermédiaire du miroir.

Lorsqu’il découvrait son image dans le miroir, souvent, je répondais à son regard d’étonnement, de surprise et à ses interrogations. A ce moment-là, je le nommais, je l’appelais par son prénom. Dans la mesure où il avait été nommé, il jouait à me reconnaître moi-même dans le miroir, à se déplacer pour faire coucou et puis à ne plus me voir. « Coucou je te vois ». Déploiement d’une relation à l’autre, d’une relation vécue. 

« Pur portement d’une adresse faite à l’homme par l’homme, le nom propre avive le désir de l’être humain, l’appelle à se relier par le langage » et « reçu comme nomination, le « tu » peut être supplémenté de l’énonciation d’un « je » », nous apprend Jean Giot, linguiste et épistémologue.

Le regard d’amour 

Cette rencontre, entre l’enfant et moi, moment intense de communion empreinte de compassion, de respect, d’écoute. Regard bienveillant d’œil à œil, d’âme à âme, de confiance infinie. 

« Je considère tous les êtres vivants plus précieux que les perles les plus précieuses.

Puis-je en tout temps prendre soin d’eux et cela me mènera au fût » (Bouddhisme Mahayana).

« Change ton regard et la vie jaillira ».

Ce développement nous conduit à saisir la richesse de ce qui se joue à chaque séance. Toutes ces dimensions, ces informations, tous les apports, toutes les indications d’une grande richesse et diversité agissent en synergie sur les différents systèmes cérébraux : langage, regard, écoute, attention, émotion. Et voici ce qu’en écrit le Dr Ann de Braconier d’Alcantara : 

« Il s’agit d’un travail répétitif dont chaque geste a sa place, son sens, son rythme. La séquence des mouvements fait re-parcourir à l’enfant l’évolution des espèces et le dépose au seuil d’une invitation à investir son existence en tant que petit homme, sujet d’une histoire à venir, relié au monde et aux vivants. Chaque geste est une métaphore tout en ayant été construit pour sa valeur physiologique et neuropsychique. L’enfant, lentement, prend conscience qu’il existe, séparé et unique, incarné et relié ». 

Ce travail demande une conscience, une présence à chaque instant et un « plus » qui est de créer un désir, une motivation, une appétence. 

« Le désir seul ne suffit pas, il faut créer le désir du désir », dit Lacan. 

« L’accomplissement du désir de l’homme se trouve dans le désir lui-même » selon F. Cheng.

Et je reprends ces quelques lignes écrites par le Professeur Oughoulian, professeur de Psychologie à la Sorbonne : 

« Le désir de l’autre entraîne le déclenchement de mon désir. En fait, c’est le désir qui engendre le moi par son mouvement. Nous sommes des moi du désir. Sans le désir né en miroir, nous n’existerions pas ». 

Et le Professeur J.-D. Vincent de dire que « La plus grande stimulation pour le cerveau reste l’autre, le cerveau de l’être humain se nourrit des nourritures affectives de l’autre ». 

Pour provoquer ce désir, cette envie, cette motivation, il s’agit parfois d’interpeller le bébé ou le jeune enfant, mais surtout d’avoir une attention bienveillante soutenue 

Par la main qui aide, c’est le mouvement

Par les yeux qui rayonnent, c’est le mouvement 

Par la parole créatrice qui met en résonance, c’est le mouvement

Par le silence habité, c’est le mouvement

Par le sourire du cœur, c’est le mouvement

Il s’agit donc d’être en résonance, par notre regard, nos gestes, notre toucher, nos paroles, les mimiques de notre visage. Un regard à l’écoute, une parole qui s’enracine dans le corps, un silence… et l’importance des mots pour qu’ils ne deviennent pas des maux. Une parole qui ainsi libère, qui allège, qui redonne de l’espérance. Il s’agit d’un silence qui parle et qui soutient, d’une présence apaisante mais active dans la confiance illimitée en l’enfant, ceci avec un cœur ouvert.

Et je cite ces mots d’Arnaud Desjardins : « La vie est un mouvement ; plus il y a vie, plus il y a fluidité. Plus vous êtes fluide, plus vous êtes vivant ». C’est l’éveil à la vie : faire l’expérience du « corps qu’on a », mais également l’expérience du « corps qu’on est ».

Au cours de ces pages, j’ai parlé bien souvent des enfants souffrants, car, de pouvoir les accompagner, cela a été ma plus grande leçon de vie. Mais l’intention de ce témoignage est également que chacun d’entre nous, parent, ami, puériculteur, enseignant, thérapeute, etc., puisse réaliser cet accompagnement de l’autre qui est une personne.

Alors, le redire une fois encore, je souhaite de tout cœur que tous les enfants du monde puissent recevoir des moments privilégiés si naturels, aussi bien lors d’une petite gymnastique douce, que de tous les instants de jeu, d’interaction, de présence mutuelle, de communion, de reliance. 

Apporter le meilleur au développement harmonieux du bébé, de l’enfant, de l’être, de façon consciente, de façon aimante. C’est une relation d’être à être de partage dans l’humanité, dans la dignité, avec humilité, une relation qui donne sens à la vie, parce qu’elle met en route le mouvement de la vie.

L’important n’est pas ce que nous attendons de la vie, mais ce que la vie attend de nous chaque jour, à chaque instant. 

Je ne peux bien entendu pas oublier ce point si délicat, bien souvent questionnant et interpellant de « Que faire quand bébé pleure ».

Quand un bébé pleure, il me semble rassurant de transmettre à la maman ou au parent un texte écrit par Aletha Solter en 1996 et qui est toujours d’actualité. Je l’invite à le lire, pour pouvoir échanger avec bienveillance, de façon sereine et partager que, bien souvent, c’est un passage, dont nous ne connaissons pas la durée. Peut-être en lien avec ce que ressent le bébé dans la transformation qui s’opère en lui. Ou en lien avec ce que vit la maman et que le bébé ressent pleinement par l’intermédiaire des bandes magnétiques. Cette reliance avec la mère qui l’amène à être une éponge émotionnelle. 

Alors la patience, la confiance et la constance sont de mise, car un jour, les pleurs s’arrêtent, et nous ne savons pas pourquoi. Peut-être que l’angoisse du nouveau s’est atténuée, peut-être que l’enfant se sent bien, qu’il est davantage en son corps, dans sa peau…

« La seconde raison des pleurs durant la prime enfance n’est pas bien comprise. Beaucoup de bébés continuent à pleurer même après que leurs besoins de base aient été rencontrés, et même pendant qu’ils sont dans les bras. Cette sorte de pleurs qui culmine autour des 6 semaines, ont été appelés « coliques » ou « pleurs de colères ». Ils peuvent durer plusieurs heures sur une journée. Les explications habituelles pour ce genre de pleurs se focalisent sur les problèmes physiques probables comme : les douleurs provoquées par des gaz ou l’indigestion. Cependant, les recherches nous montrent que la plupart des bébés à qui on attribue des coliques n’ont rien au niveau de la digestion et sont habituellement en excellente santé. Il est donc nécessaire de se tourner vers des raisons émotionnelles de ces pleurs.

(…) Par bonheur, les bébés arrivent au monde avec un « kit de réparation » et peuvent dépasser les effets du stress au travers du mécanisme naturel de guérison que sont les pleurs. Les recherches prouvent que les personnes de tous âges tirent bénéfice d’une bonne séance de pleurs, et que les larmes aident à restaurer l’équilibre chimique à la suite d’un stress. Un nourrisson qui a été isolé dans une couveuse sans contact humain pendant plusieurs jours aurait besoin de pleurer et d’exprimer sa rage pendant plusieurs heures sur une période de plusieurs mois afin de dégager la souffrance émotionnelle par une expérience si terrifiante et si confuse. Un bébé de 3 mois aura besoin de pleurer un long moment après une réunion de famille au cours de laquelle il aura été tenu dans de nombreux bras peu familiers. Un bébé de 6 mois qui est occupé à essayer du 4 pattes toute la journée et qui arrive seulement à aller en arrière peut avoir besoin, à la fin de cette journée, d’exprimer ses frustrations, en criant sa rage, en pleurant avant de pouvoir trouver son sommeil. Pleurer, dans ce cas, n’est pas une mauvaise chose ; c’est une manière de rétablir le bien-être ». 

Je pense à ce bébé de seize mois, envoyé par la pédiatre, qui pleurait toutes les nuits et dont la maman me contacta pour que cela prenne fin car elle ne pouvait plus supporter qu’il pleure. Quand je lui ai répondu que je ne pouvais pas garantir qu’il ne pleurerait plus la nuit, mais également qu’il ne pleurerait pas au cours de la séance, elle m’a répondu qu’elle ne pouvait pas venir car cela lui était insupportable d’entendre et de laisser son bébé pleurer. 

Deux mois plus tard, c’est-à-dire quand le bébé avait dix-huit mois, elle me téléphona pour me dire que rien n’avait changé et qu’elle allait venir. La maman avait accepté l’idée d’entendre son enfant pleurer et, en assistant à la première séance, a été rassurée en nous voyant, ma collaboratrice et moi-même, pleines d’attention bienveillante, et elle put ainsi être dans la confiance.

Après une ou deux séances, donc très rapidement, nous avons mis le bébé dans un petit groupe de son âge. Ils étaient trois garçons et ils pleuraient tous à qui mieux mieux. D’ailleurs, ma collaboratrice et moi-même avions gentiment invité les parents à ne surtout pas rester dans la salle d’attente qui est juste en-dessous de notre espace de travail, mais d’aller faire une promenade ou autres emplettes, ou d’aller prendre une bonne tasse de thé.

Pour moi, les pleurs sont bien souvent une expression de mal-être et je les accueille tout simplement comme tout autre langage, sans que cela ne me perturbe en rien car ces séances étaient peut-être les seuls moments où les bébés pouvaient pleurer à « cœur joie » sans ne ressentir, chez l’autre, aucun agacement, aucun désarroi, aucune irritation, aucune crainte, aucune colère. 

Néanmoins, au bout d’un moment où les pleurs continuaient, j’expliquais à l’enfant l’avoir bien écouté, l’avoir entendu, et qu’il était peut-être temps pour lui d’écouter les autres enfants qui avaient eux aussi besoin de cette écoute. Témoignant ainsi par la pratique du lieu où résidais l’harmonie, d’une justesse dans la relation. Nous voyons ici la richesse que peut apporter ce vécu dans un petit groupe d’enfants. 

Après environ deux bons mois, à raison de trois séances par semaine, voici que soudainement pendant la séance, le bébé s’est arrêté de pleurer. Et puis, l’air très étonné et surpris, il a regardé ses compagnons comme en se demandant pourquoi ils pleuraient, pourquoi ils faisaient tant de bruit. À partir de ce moment-là, chaque personne concernée a ressenti un bonheur d’apaisement d’avoir pu retrouver la sécurité, la confiance, la douceur dans la relation.

Dès l’âge de huit mois, c’est le moment de se lancer dans le vide, dans la vie, âge souvent accompagné des pleurs et de ne pas vouloir quitter la maman, la peur de la séparation et de l’abandon étant présents. Ceci jusqu’au moment de la marche. Et cette expérience peut être également douloureuse pour la maman, ou toute autre personne substitut, car c’est le moment de donner à son bébé l’autorisation de prendre son envol, d’explorer. 

Rappelons-nous de cet enfant de dix-sept mois, dont la maman était déjà venue pour un autre enfant. Elle souhaitait ne pas devoir revenir, malgré sa gratitude pour le chemin parcouru avec son autre enfant. 

Lors de la première séance, le bébé à peine arrivé, la maman nous dit d’emblée qu’elle venait juste pour quelques fois, pour un petit coup de pouce, car tout allait bien… Son enfant, une petite fille au regard vivant, lumineux, bien présente et qui, tout en souriant, nous observait ma collaboratrice et moi-même. 

Je vous ai parlé de comment se déroule l’accueil du bébé et de la maman et nous voici déjà arrivées dans la salle. Je demande à la maman de déposer son enfant sur le divan, elle la met en position assise et je lui propose de s’asseoir à côté d’elle sur le divan. Je commence le massage, premier message au corps du bébé. Tout se passe pour le mieux, la petite fille est tout sourire. Néanmoins, je dis à la maman que sa petite fille, qui reçoit quelque chose de tout à fait neuf aujourd’hui, pourrait avoir plus difficile lors de la prochaine séance, car le bébé, par la répétition, allait entrer en contact avec lui-même. Ce qui est une grande expérience, une ré-volution.

Comme je sentais que c’était sa position de sécurité, j’ai laissé l’enfant assise. Mais quand arriva le moment du massage du ventre, lorsque je lui dis qu’elle allait maintenant se coucher sur le dos, que je l’aiderais bien sûr à aller dans cette position, là, ce fut un moment de panique. 

À ce moment-là, en en parlant avec la maman, j’ai découvert que l’enfant n’avait fait aucune expérience au niveau du mouvement de son corps. Qu’elle n’avait jamais « roulé – boulé », qu’elle n’aimait pas être sur son ventre, et que donc on ne l’y mettait pas. Elle n’avait pas fait l’expérience de ramper en arrière, ni en avant, ni à quatre pattes. Et sur le dos, elle ne jouait pas à se pousser en arrière, ni à mettre ses pieds en bouche. 

Il n’a donc pas fallu une deuxième séance pour que les pleurs apparaissent. Avec la peur, l’angoisse de se sentir bouger, ceci a immédiatement enclenché un état de mal-être. Je lui ai alors parlé avec douceur en lui disant que je comprenais que c’était étrange, bizarre, dérangeant, inconfortable, tous ces mots compris par le bébé, mais qu’elle allait découvrir comment bouger et que maman lui apporterait ce même présent à la maison. 

Me vint à ce moment-là une intuition, une inspiration et je posai cette question : « Est-ce que maman est prête à voir bouger son enfant ? ». Car j’avais observé qu’elle la tenait contre elle comme un bébé de trois, quatre mois. La maman se raidit, interpellée, et laissa entendre que peut-être que non, elle n’était pas prête et qu’elle la nourrissait encore au sein et ne pouvait pas imaginer s’en détacher.

Ici, je repense à la richesse d’être à trois : la maman et les deux thérapeutes. Car si j’étais seule, je projetterais sur moi l’image de la bonne mère, situation pouvant générer l’angoisse, le désarroi de la mère, qui se serait sentie responsable, coupable. Il faut dire que parfois, lorsque cette question était posée, la maman quittait les lieux pendant la séance, ou ne revenait pas, tellement cette situation lui était difficile, parfois même insupportable. A d’autres moments, la maman faisait un chemin intérieur et, libérée de ce questionnement, pouvait s’ouvrir à l’épanouissement de son enfant. 

Lors de la deuxième séance, j’ai observé que la petite fille bougeait davantage, le papa lui-même l’ayant constaté. L’enfant m’observa encore plus attentivement que la première fois, et si, au début, elle était sur ses gardes, elle se détendit. Quand elle était sur le dos, il y eut un moment de toute beauté par le regard et la main qu’elle posa sur ma main, comme si elle me donnait l’autorisation de continuer. La maman fut également touchée par ce moment, apaisée dans la confiance. Dès la fin de la deuxième séance, l’enfant a dormi toute la matinée et une grande partie de l’après-midi. 

Ces moments si intenses et délicats vécus par les parents, par les mamans dans ces premiers mois sont là comme un rappel de ces quelques lignes de Khalil Gibran dans le livre Le Prophète (1923) : 

« Une femme qui tenait un nouveau-né contre son sein dit : Parle-nous des Enfants.

Il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont les fils et les filles du désir de la vie pour elle-même.

Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous,

Et, bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. »

Belle mission de transmission où la mère accueille le bébé pour l’offrir à la vie, et ainsi ouvre l’espace d’un épanouissement, d’une liberté qui permet à l’enfant d’accomplir sa tâche si essentielle.

Il est à noter qu’aujourd’hui, dans nos contextes, la transmission entre les générations, et celle des femmes entre elles, n’existe pour ainsi dire plus. Car bien souvent, l’activité personnelle a pris une place centrale dans la vie des gens, et le tissu social est différent. Parfois, le parent se trouve isolé dans son cheminement, sans famille, sans amis.

Comment terminer ce qui m’a tenu à cœur de partager avec vous, et qui au fil de l’écriture est venu me questionner avec douceur et profondeur. Et si c’était mon Récit de Vie, ou tout au moins un beau chapitre.

À travers ces lignes, je tiens à exprimer toute ma gratitude à ceux et celles qui m’ont fait confiance tout au long de ces cinquante-quatre années d’une richesse infinie. Je pense à vous tous, les enfants, les parents…, ainsi qu’à vous les praticiens, les (neuro-)pédiatres, pédopsychiatres, psychologues. Ces rencontres avec les parents, lors de l’accompagnement de tous ces enfants, à la suite d’une naissance difficile, de l’apparition d’une maladie grave, des conséquences d’un accident de voiture, etc., toutes ces rencontres furent une grande leçon d’humilité pour moi.

Je pourrais vous raconter beaucoup de moments interpelants qui amenèrent une évolution, comme par exemple l’histoire de ces jumeaux prématurés de trois mois, qui, à sept mois et demi – c’est-à-dire en fait à quatre mois et demi – buvaient assis sur les genoux de leur maman et de leur nounou leur biberon. Dans la salle d’attente où je suis entrée, ils s’arrêtèrent net de boire et ne me quittèrent pas des yeux. La maman regarda cette scène étonnée, avec un léger sourire et elle se demanda ce qui se passait. Nous étions littéralement scotchés au regard l’un de l’autre et c’est comme s’ils lisaient dans le mien tout ce dont ils avaient besoin. Lorsque nous avons commencé à les masser, ma collaboratrice et moi-même, ils étaient confiants, paisibles. Mon ego aurait bien aimé savoir ce qu’ils avaient lu, ressenti lors de cet échange de regards, mais hélas, je ne saurai jamais. On touche à quelque chose de plus subtil.

Pour d’autres, c’est comme si « une peau manquait à la peau » pour reprendre les mots de J.-Y. Leloup, le regard est absent, voilé, le corps n’est pas animé. Comme si l’enfant n’était pas encore incarné, pas présent, comme baignant encore dans le souvenir de l’infinitude… Comme si le oui à la vie était manquant, le vivant pas présent. Et de me poser cette question : le Verbe s’est-il ici fait chair 

Alors, dans ces circonstances, comment accompagner le cheminement vers ce moment de grande beauté qu’est le oui à la Vie ? Ma réponse fut : par ma propre réceptivité à l’éveil de cette conscience. 

Lors de cette interaction avec le nourrisson, le bébé ou le jeune enfant de trois mois, dix mois, sept ans. Par le massage, message au corps de l’enfant, par l’induction du mouvement conscientisé. 

Par chaque instant présent vécu au cours de la séance.

Il fut parfois extraordinaire et touchant de voir le regard changer, basculer. Une autre couleur des yeux et une lumière apparaître dans le regard. Le visage se détendre, un teint rosé apparaître, manifestation de la vie qui circule, le corps bouger, vibrer… Dans ces moments, j’invitais, si un parent était présent à la séance, à célébrer la naissance incarnée de son enfant par une bougie, une fleur, ou un petit repas s’il était plus âgé. Moment touchant pour la maman ou le parent présent qui l’avait vu, en avait été le témoin, bouleversé de partager ce moment de bonheur, de joie. 

La première fois que j’ai vécu cette belle histoire, c’est lors du suivi de Jérôme, un bébé autiste de six mois. D’autres moments ont été des moments intenses dans l’accompagnement de ces bébés qui dans un corps immobile, avaient cette belle lumière de l’incarnation. 

Grande interpellation qui ouvre sur tous les possibles…

Dans L’Accompagnement de la Naissance, Bernard Montaud écrit 

« Ils font naître 

L’enfant de chair

Toi tu veux faire naître

L’enfant de Lumière

Si tu l’accouches

C’est lui qui te fera naître ».

Dans ces moments, j’oublie la gravité du diagnostic, l’âge de l’enfant, j’oublie tout car la foi déplace les montagnes et cette confiance illimitée permet que quelque chose puisse jaillir, bouger, changer. Il m’appartient alors, dans un silence intérieur, de les accueillir, de les rassurer, de les accompagner avec douceur, comme Arthur, Pierrot, Robert, Albert et encore bien d’autres enfants. 

Grande école de vie qui m’a amenée à une autre conscience.

Et je reprends ces quelques lignes de J.-Y. Leloup : 

« La conscience prend corps, pour que le corps prenne conscience ». 

Ce cheminement éveillé par la conscience amène à expérimenter la valeur spirituelle de l’Amour, du Respect, de l’Intégrité, de la Justesse, de la Bienveillance, de la Compassion… 

Et d’oser aller à la rencontre, pour y trouver nos peurs, nos doutes, nos frustrations, nos colères, nos rejets. Aller visiter nos animaux intérieurs dont parle Annick de Souzenelle, ainsi que le très beau texte de Rûmî, mystique soufi du treizième siècle : 

« Ainsi l’être humain est une auberge.

Chaque matin, un nouvel arrivant.

Une joie, un découragement, une méchanceté,

Une conscience passagère se présente, 

Comme un hôte qu’on n’attendait pas. »

Se laisser transformer de l’intérieur. Alors une ouverture de cœur s’installe petit à petit et apporte une lumière dans l’accompagnement de tous les enfants, de tous ceux que j’ai rencontrés, et qui ont été mes maîtres dans cette révélation de la Présence en chacun. 

C’est une Aventure, l’Aventure d’une vie, un moment de Grâce…

Mars 2023

Annexe 1

Publications et communications

  1. Publications par Marcelle Procus

1. Publication en 1951 dans la Revue Bruxelles – Médical par Marcelle Procus. « Induction du mouvement actif par le réflexe conditionné chez le nourrisson ». La juste dénomination apparaîtra dans les années… ?

2. « Aspects de la psychomotricité de la Seconde Enfance » dans la Revue Perspectives Psychiatriques en France, en 1970, et repris dans Folia ( ?) en mais 1971 ainsi que comme Introduction du livre du Docteur Jacques Chazaud en 1974 « Introduction à la Psychomotricité ».

  1. Publications par Marcelle Procus et Michèle Block

1. « Quinze ans d’expérience pragmatique du Traitement de la Psychose Infantile » dans la Revue Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence (1987). Expansion scientifique. 

2. « Conception clinique du traitement des troubles psycho-somatognosiques » dans la Revue Neuropsychiatrie de l’Enfance (1988), repris dans International Synopses USA en 1989.

  1. Communications de Marcelle Procus et Michèle Block

1. « Quinze ans d’expérience pragmatique du Traitement de la Psychose Infantile » (XIe Congrès International de l’Enfant et de l’Adolescent (Paris, 21-25 juillet 1986).

2. « Interaction thérapeutique avec le nourrisson en souffrance par le massage et l’induction du mouvement » (IVe Congrès Mondial de la Psychiatrie du Nourrisson et des Disciplines, 20-24 septembre 1989). 

  1. Communication de Michèle Block

1997 – Monographie en hommage à Marcelle Procus

2008 – « La Naissance et la Mort, une même Réalité ? », dans le cadre des Conférences Tonglen.

2012 – « Syndrome de Microdélétion et Plasticité Cérébrale », Colloque aux Cliniques Universitaires Saint-Luc.

2013 – « J’ai peur de ne pas être à la hauteur », lors de la 31ème Rencontre des Pédiatres homéopathe francophones.

Annexe 2

Développement neuro-moteur du bébé de trois mois à douze mois

De zéro à trois mois :

  1. Couché sur le dos, le bébé peut fixer un objet ;

  2. Couché sur le ventre, il commence à soulever la tête, la poitrine et à s’appuyer sur ses avant-bras ;

  3. Il tient mieux la tête quand on le tient assis sur soi.

A quatre mois :

  1. Couché sur le ventre, il essaie d’attraper un objet devant lui. Aussi il est bon de prévoir de mettre des objets tout autour de lui, pour susciter ce désir d’y arriver. Nous pouvons l’aider dans son déplacement et ainsi petit à petit l’induire. Quand il joue et n’y arrive pas, ce moment de frustration peut également lui donner une impulsion imprévue. Il est donc bon d’alterner entre induire et laisser le temps de l’exploration ;

  2. Quand il est couché sur le ventre, il va rouler sur le côté et se trouver sur le dos. Il est bon de le mettre de façon régulière sur le ventre une dizaine de minutes, ceci bien sûr de façon progressive. 

A cinq mois :

  1. Il va mettre ses pieds vers la bouche et prendre conscience de la totalité de son corps ;

  2. Il va jouer avec les mains devant les yeux ;

  3. Il peut attraper un objet avec une main, quand il est sur le ventre ;

  4. Il reste assis avec appui sur le mains devant lui ;

  5. Il est couché sur le ventre, il va ramper en arrière. 

Au début de sa vie, la bébé va découvrir son corps de façon très partielle, pour atteindre progressivement la première forme d’unité motrice autour de six mois (points 1) et 2)). 

De sept à neuf mois :

  1. Il se balance quand il est assis ;

  2. Il s’assied tout seul, et reste sans appui ;

  3. Quand il est sur son ventre, il s’appuie sur ses mains et genoux, les fesses sur les pieds et se balance, c’est le début du quatre pattes ; 

  4. Il se déplace en roulant – boulant, en rampant ;

  5. Il se met à genoux en s’appuyant sur un meuble.

De dix à douze mois :

  1. Il tourne en rond sur ses fesses, se déplace en avant, en arrière ;

  2. De l’assis, il peut passer à quatre pattes, seul exercice qui sollicite le « corps calleux » grâce au mouvement croisé et qui active les deux parties du cerveau en même temps. Ceci joue un rôle important au niveau cognitif ;

  3. De l’assis, et du quatre pattes, l’enfant va passer sur les genoux ;

  4. Quand il tombe, il se protège avec les mains ;

  5. Quand il est debout, il se déplace sur le côté en tenant un meuble ;

  6. Il commence à s’accroupir quand il est debout et vice et versa. Ceci en partant bien d’un redressement qui part des pieds pour entraîner une bonne verticalisation.
    Dans la position accroupie, on pourra lui faire sentir comment avancer un pied puis l’autre pied. Plus l’enfant va développer sa motricité, plus il va pouvoir s’épanouir et avoir une meilleure autonomie et plus son développement cognitif sera facilité. 

Je remercie ici tous les enfants qui ont été mes maîtres. 

Et tous ceux qui les accompagnent dans leur chemin de vie. 

Merci aux parents qui m’ont donné, par leur enthousiasme, l’impulsion de partager 

Mon vécu de thérapeute, et qui est devenu, petit à petit, mon Récit de Vie

Je remercie tout particulièrement Alessandra, Alicja, Christine, Faten,

Nathalie, Sandrine et Sarah 

Petit groupe de mamans et d’amies qui, par leur souhait répété de recueillir mon expérience

En lien avec des questionnements actuels sur l’enfance, m’ont permis de réaliser

Que cette transmission écrite avait, elle aussi, du sens.

Merci à Charles pour la création de ce nouveau et si précieux site d’Eveil à la vie

Permettant la lecture de ce récit et de toutes les publications reprises dans la bibliographie ;

À Isabelle pour son illustration du texte qui puisa son origine dans l’une de ses toiles ; 

À Sarah pour ce dialogue avec le Texte, entrée en résonance de nos deux voix 

Qui en fluidifia l’écriture.

Merci à vous qui découvrirez dans ces pages, je l’espère de tout cœur, 

Un support dans la beauté de l’accompagnement 

Du bébé, de l’enfant, de l’être.

« Deux parcours de vie se rencontrèrent. 

Celui d’une mère qui accompagnait les pas d’un enfant, 

Et dont le désir et l’agir étaient de lui offrir 

Une vie collective, naturelle et riche en découvertes ; 

Celui d’une marraine universelle 

Dont le récit de vie fit écho, chez la maman, au chemin parcouru avec cet enfant 

Et à la nécessaire mise au service d’un monde de partage, 

Où l’enfance et les générations sont en harmonie, 

Veillant mutuellement les unes sur les autres. 

A travers son récit, Michèle Block offre à l’univers, 

Par l’écriture condensée de son expérience, 

Une « substantifique moëlle » dans l’accompagnement des premiers pas d’un enfant. 

Une pratique dont elle dira elle-même qu’il s’agit d’en extraire 

La profondeur de la perspective, 

Non le dogme de l’outillage. » 

Sarah Bégaux

 

« L’Inspiration et la Méditation spontanée en couleur introduisirent 

Un mouvement dans l’illustration, 

Une énergie vitale. 

Et laissèrent éclore à la suite de nos échanges 

Le surgissement du bébé 

Avec cette conscience 

De l’« Essence de Vie » dans son infinité. »

Isabelle Heine

Illustration : Isabelle Heine

Regard littéraire, transcriptions et lectures : Sarah Bégaux