Nouvelle approche thérapeutique de l'infirmité motrice cérébrale

Marcelle Procus

Publié in Perspectives Psychiatriques, n0 75,1980 (I), pp. 32-36.

Une longue pratique de la kinésithérapie et en particulier de la rééducation des infirmes moteurs cérébraux nous a conduits à repenser les modes de travail des infirmes moteurs cérébraux de 0 à 4 ans.

Si nous reprenons les méthodes précieuses appliquées jusqu'à présent par Temple Fay (qui s'inspire de la phylogenèse), par Kabat (sur les facilitations proprioceptives), par Bobath (sur le R.I.P's - reflex inhibiting posture -, c'est-à-dire sur les attitudes du réflexe inhibé), par Vojta (sur les schémas médullaires de la déambulation du lézard), par Phelps (méthode très analytique avec des appareils et la correction des attitudes vicieuses des membres par des sacs de sable), nous constatons que toutes ces méthodes prennent comme point de départ le symptôme clinique et négligent l'aspect global de la lésion cérébrale.

D'autre part la rééducation était conçue classiquement comme strictement individuelle alors que dans notre conception il est important de grouper les enfants afin de mieux les stimuler grâce aux progrès de la néonatalogie, au dépistage précoce et à la meilleure connaissance de la pathogénie de l'infirmité motrice cérébrale, le traitement précoce est devenu possible. Il a la prétention d'être curatif par l'appel à la fonction des masses neuronales encore peu différenciées et non lésées. Ce qui fait toute l'originalité de cette méthode. Cette éducation neuromotrice s'élabore sur les éléments essentiels suivants.

1. Du point de vue neurologique

a) Nous nous basons sur le dynamisme de la maturation et nous en tirons parti d'un point de vue thérapeutique.

En effet, il s'agit d'organiser la fonction de certaines structures cérébrales, qui n'ont pas encore eu le temps de s'organiser selon le schéma des maturations. Autrement dit, en laissant de côté fonctionnellement les régions lésées, nous pouvons conditionner les masses cellulaires encore inemployées, en les rendant titulaires des fonctions que nous désirons.

Ces faits témoignent de la potentialité d'adaptation neuronale à des nouvelles fonctions (Kulakowski).

b) Nous avons approfondi le développement neurologique de l'enfant sain selon les travaux de André Thomas, Sainte-Anne Dargassies et de Gezell.

Il serait illusoire de s'attendre à une évolution normale chez un enfant infirme moteur cérébral. Au contraire, elle pourra se faire de façon tout à fait insolite par rapport à l'évolution d'un bébé normal, puisque les structures cérébrales ne sont pas comparables.

2. La position de la nuque

Nous considérons la position de la nuque comme fondamentale.

En effet :

a) C'est la nuque qui conditionne l'attitude de la tête dans l'espace. Or c'est au niveau de la tête que sont centralisées toutes les informations d'où partent tous les influx pour les muscles. C'est donc la position de la nuque qui détermine la position des autres segments du corps.

b) De plus la position de la nuque joue un rôle dans la composante neurogène du tonus musculaire.

c) Enfin les réactions neurologiques statiques de redressement et d'équilibration sont apparentées, s'intriquent, s'enchaînent, mais commencent toujours par un redressement de la tête. En effet c'est elle qui porte les récepteurs sensoriels qui orientent et dirigent les centres et les circuits qui les règlent.

3. Le schéma corporel

Le schéma corporel consiste dans la représentation mentale de l'image de notre corps. Ces renseignements sont fournis par les organes des sens et par tous les influx proprioceptifs, extéroceptifs et cinétiques. Or ce schéma corporel s'élabore parallèlement à la maturation cérébrale. On peut éduquer cette notion de schéma. C'est la raison pour laquelle nous essaierons de donner le maximum d'acquisition dans ce domaine à travers les expériences praxognosiques et le massage. Nous insisterons particulièrement sur la prise de conscience des différentes positions par exemple : assis, couché, debout, à quatre pattes, etc.

4. Le point de vue musculaire

Les exercices s'exécutent toujours symétriquement sans jamais provoquer de traction, ni étirement, ni positions forcées, sans agents agressifs comme sacs de sable, glace, etc.

Toute cette mobilisation doit s'effectuer sans la moindre douleur afin d'éviter : 

a) le conditionnement négatif

b) le réflexe d'étirement

c) la force en retour de l'élasticité musculaire

d) de fortifier le propre défaut de l'enfant.

Connaissant le mode de contraction physiologique des muscles et notre possibilité de les modifier, il sera essentiel de faire travailler la musculature par groupes fonctionnels. Dans cette optique l'éducation portera tant sur les agonistes que sur les antagonistes du mouvement proposé en vue de la fonction à acquérir.

5. La tête et les hanches

Il me reste à souligner l'importance de deux leviers du corps humain. La tête et les hanches qui sont des leviers inter appui donc leviers d'équilibre, leurs équilibrations conditionnent la station debout.

6. Le mode d'acquisition de la mobilité volontaire

Un dernier point sur lequel j'aimerais insister est celui qui intéresse le mode d'acquisition de la mobilité volontaire.

Nous empruntons le principe de la méthode d'éducation de l'enfant handicapé à Morgan et Fulton qui ont dit : « le cerveau pense en geste et non en muscles ».

Lors de son développement moteur le nourrisson normal commence par exécuter des mouvements incoordonnés et sans but précis. Ensuite il les coordonne et les précise et enfin les automatise (Piaget). Cette automatisation du mouvement signifie qu'au niveau de son système nerveux central il a fixé le schéma moteur. Il suffit d'intentionner le mouvement selon son schéma moteur connu pour que le mécanisme complexe du jeu musculaire se déroule. Dans ce mécanisme la participation du rôle du cortex cérébral nous semble aussi évidente que primordiale par le rôle que joue l'image motrice conscientisée.

7. Technique

Nous commençons par mettre les infirmes moteurs cérébraux dans un bain de mouvements (façon de parler). Nous traitons (mon assistante et moi-même), 4 à 5 enfants en même temps ; leur âge chronologique varie de 6 mois à 4 ans ; la leçon dure une heure et demie.

Ils sont reçus dans une salle conçue pour eux, dans une atmosphère agréable et riante, à une température de 25 à 26° pour favoriser le relâchement musculaire.

Le revêtement du sol est en liège, il forme un damier de carreaux clairs et foncés. Le liège présente l'avantage d'être à la fois souple, élastique, tiède, antidérapant, ce qui sécurise les bébés. Il est lavable.

L'ameublement se compose des trotteurs, des crawlers, des stabilisateurs, un appareil de suppression de poids, un tourne-disque, une longue table basse, des plantes, des jouets, etc. Les bébés travaillent en salle une heure et demie par jour, alors qu'à la maison, la maman fait répéter certains exercices à intervalle régulier. Cette façon de procéder permet de conserver le contact familial tout en élargissant les possibilités d'expériences psycho-sensorielles.

Dans certains cas nous recevons l'enfant individuellement afin d'établir le contact, d'habituer l'enfant à notre présence, à la salle, ce qui contribue à la confiance et aussi facilite une séparation harmonieuse de sa mère.

Nous accueillons les enfants et nous les déshabillons nous-mêmes afin de faciliter le contact entre le bébé et nous-mêmes. Ensuite, le bébé commence à travailler dans le cours collectif. Chaque bébé exécute une gymnastique individuelle de 5 à 10 minutes composée d'exercices d'induction en rapport avec le cas. Cette gymnastique consiste en mouvements de tous les segments du corps : les pieds, les jambes ; les bras, le tronc et surtout la tête par le truchement d'un stimulus sensoriel : bruits, chansonnettes, musique, jouets, lumière, commandement. Puis chaque enfant à tour de rôle et tous les jours est massé entièrement pour provoquer la relaxation du corps entier. Vient ensuite l'induction du mouvement actif par le conditionnement qui conduit à l'automatisation.

Voyons ces mouvements dans l'ordre tel que nous le concevons :

1. Mouvement des pieds : l'enfant est couché sur le dos ; nous fléchissons les membres inférieurs et nous lui montrons les pieds. Nous faisons tourner les chevilles dans un sens puis dans l'autre en disant sur un ton doux et chantant : tourne tourne...

2. Mouvement alternatif des membres inférieurs : nous saisissons les jambes près des chevilles et nous faisons exécuter le mouvement de flexion alternative des membres inférieurs y compris les hanches en chantant : le petit train s'en va dans la montagne, etc.

3. Mouvement d'extension des hanches : nous appliquons les deux pieds de l'enfant sur le divan les jambes fléchies, nous demandons alors à l'enfant de soulever le siège.

4. Mouvement de rotation du tronc : nous demandons à l'enfant de prendre les pieds en mains en suscitant cette prise en lui montrant les pieds et les mains. Nous prenons alors pieds et mains dans les nôtres et nous faisons tourner tout le corps à droite et à gauche en surveillant la tête afin qu'elle tourne en même temps en disant : et roule et boule...

5. Mouvement des bras :

a) d'abord l'abduction. Devant les yeux de l'enfant nous demandons de donner les mains puis nous faisons l'abduction des bras en chantant : il était un petit navire, etc.

b) élévation alternative des bras au-dessus de la tête et le long du corps en disant : pif - paf.

6. L'assis est obtenu en demandant à l'enfant de lever la tête pour s'asseoir et nous disons : et assis et couché en attirant l'attention de l'enfant sur la position de la tête par notre commandement clair : et la tête - très net -, ne pas laisser tomber la tête.

7. Nous suspendons l'enfant par les pieds en le balançant de droite à gauche afin d'obtenir le réflexe postural avec l'extension de la tête et des bras et des mains et en même temps lui donner des notions d'espace. Nous disons pour cet exercice tic tac...

8. Nous replaçons le bébé sur le divan sur les genoux nous le maintenons sous les bras avec une main et de l'autre nous saisissons les pieds et nous faisons exécuter un mouvement de flexion et d'extension des hanches en chantant « Dominique nique nique s'en allait tout simplement », etc.

9. Nous nous asseyons sur le divan et nous prenons le bébé entre nos jambes à hauteur des cuisses. Nous le projetons en avant et le bébé doit se redresser tout à fait à la verticale. Il fait alors travailler les fessiers, les muscles du dos et de la nuque et nous disons : « Pim, c'est pour l'avant et poum, c'est le redressement ». Cette exécution se fera très progressivement deux à trois fois au début pour parvenir à une dizaine de fois.

10. Toujours en assis sur le divan nous maintenons avec nos cuisses les jambes du bébé assis sur une cuisse. Nous lui demandons de donner les mains et à l'inverse de l'exercice précédent nous lançons l'enfant en arrière et il doit d'abord plier la tête sur le tronc puis s'asseoir et enfin se mettre debout d'où étendre les hanches. Cet exercice a pour but de faire travailler tous les muscles antérieurs. Cette gymnastique a pour but de susciter des mouvements actifs commandés par l'enfant (rôle du cortex) en faisant progressivement connaître au bébé les segments principaux de son propre corps.

Ceci rend possible à la longue, l'assimilation de son schéma corporel et l'automatisation du mouvement. Au terme de cette période éminemment active et fatigante pour le bébé, celui-ci se repose le plus souvent en coucher ventral sur le sol pendant un temps variable selon les malades. Cette position favorise le relèvement de la tête.

A noter que dans le groupe, à côté des infirmes moteurs cérébraux graves ou moyens se trouvent des enfants atteints de simples retards moteurs ou bien présentant parfois un autisme ou une psychose infantile. Il se crée alors une émulation et une entraide entre les divers groupes de malades : les enfants légèrement atteints viennent en aide aux autres qui les voient marcher, courir et jouer.

Lorsqu'un des bébés commence à manifester une activité psycho-motrice spontanée quelconque selon ses acquisitions motrices, il sera placé soit sur un crawler, dans un stabilisateur, un trotteur ; d'autres fois il entamera une activité motrice plus fine telle que manipulation des cubes, des blocs ou d'autres jouets.

Simultanément une partie des enfants sera intéressée par un conditionnement de groupe par la musique.

Celui-ci consiste à induire les mouvements qui me paraissent utiles, en s'aidant par le rythme.

La méthode insiste sur l'exécution des exercices toujours en rapport avec un événement raconté.

Dans d'autres cas elle facilite l'initiation des attitudes que nous leur proposons. Les enfants se mobilisent selon leurs possibilités et le rythme qu'ils entendent.

Celui-ci leur inspire en général une activité motrice spontanée qu'il nous appartiendra d'amplifier dans le sens que nous désirons.

De cette façon chacun de nos malades réagit par un mouvement qui lui est propre, on obtient ainsi une activité d'ensemble d'une extraordinaire intensité et de diversité. On a l'impression que ces enfants se surpassent, ce qui amène un épanouissement psychologique à l'origine de nouveaux progrès moteurs. Nous venons de vous donner le déroulement d'une séance telle qu'elle se présente pendant une heure et demie. Nous ne portons pas de blouses blanches ; en effet les petits viennent chez nous pour jouer.

Nous aimerions insister sur le fait que les exercices sont toujours exécutés symétriquement.

L'essentiel de cette méthode consiste comme vous l'avez constaté à induire le mouvement actif commandé. Le plus difficile à obtenir est de parvenir à ce que l'enfant bouge spontanément, de n'importe quelle façon ; qu'il se déplace, n'importe comment, pourvu qu'il fasse connaissance avec son propre corps et tout ce qui l'entoure pour s'intégrer dans son environnement.

Secondairement, en partant de ces mouvements spontanés nous tentons de les corriger afin que le schéma moteur devienne progressivement le plus correct possible.

Les mouvements enseignés ne provoqueront jamais de manifestations de refus.

Il faut évidemment distinguer entre des pleurs d'origine caractérielle et les signes éventuels d'une fatigue ou d'une manifestation organique. Il est certainement impossible d'indiquer davantage de schémas thérapeutiques de cette méthode sauf la systématisation décrite plus haut.

L'évolution neuro-motrice de ces enfants se fera, souvent d'une façon assez insolite par rapport à l'évolution d'un bébé normal.

Elle se fera selon l'importance de son atteinte cérébrale, de son quotient intellectuel, de la collaboration intelligente de la mère et de l'acceptation du handicapé par le milieu de vie de l'enfant.

Il est évident que les résultats sont surtout fonction de l'âge du début du traitement. Après l'âge de 3 ans il s'agira davantage d'un traitement palliatif que réellement curatif.

Conclusions

Nous n'insisterons plus que sur quelques points qui nous semblent essentiels :

1. L'importance du rôle que l'on peut faire jouer à l'activité volontaire liée à la motivation qui implique donc l'activité du cortex de l'enfant.

2. L'importance de la précocité de la rééducation, en général entre 6 mois et 1 an.

3. L'importance du groupe dans la rééducation afin de profiter des stimulations telles que l'imitation ou la compétition.

4. Cette méthode qui s'adresse essentiellement aux jeunes infirmes cérébraux et aux retards moteurs globaux donne également d'excellents résultats dans les cas de psychose infantile même très grave, mais précocement diagnostiquée. Ces résultats encourageants sont sans doute dus à une élaboration extrêmement intensive du schéma corporel par la multiplicité des influx extéro et proprioceptifs auxquels est soumis l'enfant.